mardi 3 avril 2007 par Le Nouveau Réveil

De nos jours, aucun Etat moderne ne peut se passer des services qu'offre la mer pour l'acheminement de ses produits tant à l'export qu'à l'import. Face à une telle situation et suivant les recommandations de la CNUCED, notre pays avait réussi à élaborer une véritable politique pour la maîtrise de sa desserte maritime, et par ricochet son commerce extérieur. L'Office ivoirien des chargeurs (OIC) fut alors créé et a eu pour mission de réduire l'incidence des coûts de transport, notamment les taux de fret sur l'économie nationale, de défendre les intérêts des chargeurs tout en garantissant aux armements nationaux leur part de trafic conformément aux dispositions du code de conduite.
La Côte d'Ivoire, par la nature de ses productions, est contrainte de vendre très loin, sur les marchés occidentaux où elle achète également la quasi totalité des biens et matériels nécessaires à son développement ; ce qui la rend dépendante à plus de 90% de la mer. C'est ainsi que notre pays va montrer sa vocation maritime par la création en 1974 d'un secrétariat d'Etat à la marine qui dota le secteur de structures et infrastructures nécessaires à un développement harmonieux du transport maritime. L'Ecole de la Marine marchande devint l'Académie régionale des sciences et techniques de la mer chargée de la formation et du perfectionnement du personnel navigant, sédentaire et portuaire de la sous-région. Cette institution a aussi une vocation de recherche appliquée qu'elle n'arrive malheureusement pas à remplir. Le rendement portuaire fut amélioré. Le fait pour certains gouvernements de s'intéresser aux transports maritimes s'explique par la volonté de ces Etats d'avoir un ?il sur un secteur de l'économie nationale qui est essentiel pour l'indépendance, le rayonnement et la puissance de la nation. En tout cas, nous avons vivement ressenti un sentiment de fierté lorsqu'un soir d'été 1984, entrant à bord du Yamoussoukro au port de Nantes-St-Nazaire, nous apercevions déjà accostés deux autres bâtiments : l'Agboville et le Bondoukou, tous baltant pavillon ivoirien avec des commandants, des officiers et des équipages entièrement ivoiriens! Y a-t-il un meilleur ambassadeur pour montrer aux autres nations, la puissance et le savoir-faire de notre peuple ?
Il est bon de signaler que durant les deux dernières décennies, notre pays avait possédé plus de dix navires en propre, d'un port en lourd de plus de 213000 tonnes auxquels il faut ajouter des affrétés aussi bien en temps normal qu'en période de pointe; ce qui permettait à notre pays de transporter plus de 20% de son commerce extérieur. II est aujourd'hui admis que le coup fatal a été donné à notre flotte nationale par la dissolution en 1987 du ministère de la Marine et la dispersion des organes entre différents ministères ; dans une telle situation, il ne peut y avoir ni bonne coordination ni unité de vue. On assista alors à une mort programmée de la Marine ivoirienne. Les concurrents occidentaux vont alors, par le biais des institutions de Bretton Woods, saisir l'occasion pour imposer une politique ultra-libérale qui aboutit en 1995 à la liquidation de l'armement d'Etat. Le gouvernement, malgré une mise en garde des experts ivoiriens, va capituler devant le diktat de la Banque mondiale effaçant du coup un travail titanesque soutenu par une politique cohérente et "nationaliste" de près de deux décennies. Ce fut une faute grave du gouvernement d'alors de s'être désintéressé d'un secteur aussi stratégique, le laissant aux mains "d'experts" venus d'Outre-Atlantique conseillant ou imposant des privations tous azimuts ; ce sont des gens qui ignorent nos réalités. Notre pays possède l'expertise nécessaire dans ce domaine et dont la formation a coûté des millions de francs aux contribuables ivoiriens. II est bon de savoir qu'une flotte nationale prospère assure la possibilité de réaliser à tout moment les besoins vitaux d'un pays. Surtout en période de crise. C'est ainsi que lors du déficit énergétique de 1984, deux navires de l'armement national, la SITRAM, ont été programmés sur Rotterdam pour transporter dans les délais et conditions les meilleures possibles deux turbines dont nos industries au bord de l'asphyxie avaient énormément besoin.
Pour la stratégie politique de la Côte d'Ivoire de l'ère Houphouët-Boigny, des missions d'aides et humanitaires étaient souvent confiées à la Marine. Est-il besoin de montrer le rôle qu'aurait joué la Marine, si on en possédait encore aujourd'hui, en cette période de crise ivoirienne ?
Sachons aussi que les activités lorsqu'elles sont bien menées, sont non seulement une source appréciable de devises, mais aussi pourvoyeuses d'emplois. Toutefois, la vocation première de la marine n'est pas de générer directement de l'argent, mais d'en faire gagner à l'ensemble du commerce extérieur par une politique appropriée de taux de fret qui puisse permettre aux produits nationaux de compétir sainement sur le marché international par des délais de livraison et la qualité des services maritimes.
Il est admis que si un pays comme le Japon n'avait pas de flotte nationale et qu'il devait recourir aux navires de ses concurrents, sa liberté d'action aurait été réduite au point de freiner le rayonnement que cette nation connaît aujourd'hui.Le problème de la mer est complexe; elle n'aime ni la dispersion, ni l'instabililé. En matière de politique maritime, il faut de la rigueur, de la cohérence, du suivi... L'expérience de l'Etat-armateur n'a pas souvent été bonne certes, mais compte tenu de son importance, la Côte d'Ivoire ne doit pas se désengager totalement de ce secteur, abandonnant son commerce et ses relatons extérieures au pavillon étranger. Comme on vient de le voir, notre pays avait réussi à mettre en place et à améliorer un secteur maritime et portuaire qui faisait la fierté de toute la nation. Il est inadmissible qu'un pays comme le nôtre avec plus de 500 km d'ouverture sur la mer et qui a les moyens de se classer parmi les trois puissances du continent abandonne un pan de souveraineté aussi important. L'objectif de se classer dans le peloton de tête du continent ne peut être atteint si les navires de nos concurrents, comme c'est le cas depuis la disparition du ministère de la Marine et des armements nationaux, continuent à avoir l'exclusivité du transport de nos produits stratégiques. "La voie de notre libération économique passant par la mer", c'est une obligation pour nous de ressusciter 'L'éléphant de mer" pour redonner à la Côte d'Ivoire une nouvelle vocation maritime afin qu'elle développe ses nombreux atouts pour redevenir le véritable pôle de développement de la sous-région. Ce souffle nouveau ne peut être donné que par la création d'un grand département de la Mer qui sera naturellement chargé de la Marine, des Ports, de la Pêche et des Industries Maritimes, de la Recherche Océanographique et de la Pollution Maritime.
Par DR YACOUBA TOURE

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