mardi 3 avril 2007 par Le Temps

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les entreprises françaises n'ont pas quitté la Côte d'Ivoire. Dans cette interview exclusive Patrick Lucas, du MEDEF Afrique, lève un coin de voile sur l'avenir de la coopération franco-ivoirienne.

A la fin de leur dernière mission à Abidjan, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et le Club des investisseurs en Afrique noire (CIAN), en juillet 2006, promesse avait été faite de revenir au premier trimestre 2007. Qu'est-ce qui bloque les choses ?
Nous avions promis de revenir, si les événements le permettaient. Eh bien, nous revenons !! Nous serons à Abidjan, à la mi-avril, avec une vingtaine de dirigeants d'entreprises. Vous savez, le business a des règles, des standards, une éthique que nous respectons dans tous les pays du monde. Mais nous ne sommes pas et n'avons pas la prétention d'être au niveau de la politique et des affaires des Etats. Les Ivoiriens et les Français sont faits pour s'entendre, au moins dans le monde de l'économie et au-delà je l'espère, bien sûr. Nos valeurs sont très proches. Pourquoi ne pas profiter de cette proximité ? Dans les affaires, il faut savoir être fidèle !

A la suite de cette mission d'évaluation, qu'avez-vous obtenu du secteur privé et du ministère de l'Economie et des Finances ?
Après plusieurs rencontres à Paris avec des représentants du gouvernement ivoirien et des responsables de l'administration ivoirienne, nous avions décidé d'effectuer une délégation restreinte de haut niveau en Côte d'Ivoire. Elle s'est déroulée en juillet 2006. Cette délégation de représentants des entreprises françaises avait pour principal objectif, de montrer notre intérêt à travailler avec la Côte d'Ivoire, dont nous restons convaincus du formidable potentiel de développement économique. A cette occasion, nous avions, signé un protocole d'Accord entre le MEDEF et notre homologue en Côte d'Ivoire, la CGECI. Nous avons également revu le ministre ivoirien de l'Economie et des Finances récemment, à Paris. Nous lui avons renouvelé notre intérêt de retrouver un niveau d'échanges et d'investissements avec la Côte d'Ivoire, à la hauteur de son potentiel. Nous lui avons fait part des problèmes existants dans certains secteurs. Il nous a donné des indications très utiles sur les mesures prises par son gouvernement, pour améliorer le climat des affaires et l'importance de lutter contre le secteur informel.

Avec la crise à répétition, que reste-t-il des entreprises françaises en Côte d'Ivoire ?
Plus de 500 entreprises françaises sont toujours présentes en Côte d'Ivoire, selon des sources officielles. Si certaines ont diminué fortement, voire cessé leurs activités, il faut savoir que beaucoup d'entre elles, environ plus de 300, sont encore actives et travaillent en Côte d'Ivoire, souvent dans des conditions difficiles mais elles restent convaincues qu'il faut se maintenir et réinvestir dans votre pays. Notre souhait et notre mission sont d'accompagner ce mouvement, le moment venu. Et je crois que nous nous rapprochons de plus en plus de ce moment-là.

A la suite des différents événements malheureux qui ont été traversés par la Côte d'Ivoire, des voix se sont élevées en France pour réclamer un dédommagement des victimes françaises. Et les ivoiriens alors ?
Lorsqu'un bien, relevant du droit de la propriété privée, a été détruit à l'occasion de violences pour des motifs politiques, il est humain de rechercher à le récupérer ou à trouver des compensations. Ceci n'est pas propre aux Français. Je n'ai pas de commentaire particulier à ce sujet. Cela n'est pas de ma compétence. Je constate simplement que les Ivoiriens souhaitent ardemment la paix, pour pouvoir travailler dans le calme et retrouver le chemin de la prospérité. Je me réjouis que le dernier Accord de paix donne un réel espoir dans ce sens.

Que répondez-vous à l'opinion qui dit que les entreprises françaises comme Bolloré et Bouygues n'aiment pas la concurrence dans leurs pré carrés (en CI et au Sénégal) ?
La concurrence et la compétition sont la dynamique que toute entreprise, pour les grandes comme pour les petites ou les moyennes, connaît dans tous les secteurs et dans quasiment tous les pays du monde. Bolloré, comme Bouygues affrontent brillamment et quotidiennement la concurrence, dans de nombreux pays, à commencer par la France. Dans une économie mondialisée et ouverte, il n'y a pas à aimer ou à ne pas aimer. Notre objectif, en tant qu'entrepreneurs, c'est d'offrir le meilleur produit, le meilleur service, au meilleur prix. Sinon un autre le fera à notre place. Cette dynamique permet d'améliorer l'emploi, par conséquent, les niveaux et mode de vie des populations. Il nous faut donc plus d'entrepreneurs en Afrique, c'est cela le véritable sujet.

Face à la montée en puissance de la Chine, pendant combien de temps les positions monopolistiques françaises vont durer en Afrique ?
Je ne crois pas que l'on puisse parler de positions monopolistiques françaises. Nos collègues chinois sont depuis longtemps en Afrique et tout le monde constate leur montée en puissance depuis une décennie. Que de nouveaux investisseurs arrivent en Afrique, quelle que soit leur origine, est une bonne chose. Ce qui est important, c'est que les règles d'une concurrence saine et loyale soient préservées. Que les règles éthiques soient respectées et, surtout, que les intérêts des Africains soient promus à travers ces nouveaux concurrents. Ce dernier point ne relève ni de ma compétence, ni de mon intérêt personnel, mais du bon sens et de la vision que nous avons, nous entrepreneurs français et européens, du partenariat durable qui doit désormais s'instaurer entre l'Europe et l'Afrique. Il faut, avant tout, que les Africains puissent prospérer. Par exemple, il ne faudrait pas que cet intérêt soit simplement mu, à n'importe quel prix, par une course à l'accès à des matières premières, sans retour réel sur le pouvoir d'achat des Africains.

Une opinion française continue de taxer le Pouvoir d' Abidjan d'anti français. Pourtant, selon Michel Roussin, le privé français continue de faire de bonnes affaires en Côte d'Ivoire.
Ce n'est pas, de mon point de vue, la façon réaliste de décrire la situation. Ce que veut dire M. Roussin c'est que l'économie ivoirienne permet, aujourd'hui, à des entreprises françaises et à d'autres, de poursuivre une activité industrielle, commerciale. Et c'est tant mieux pour tout le monde ! Les entreprises qui ont pu, ou qui ont su s'adapter à ce contexte de transition (qui je l'espère s'achève) ont versé des salaires, quasi exclusivement à des Ivoiriens, ont payé des impôts et ont réinvesti. Le plus souvent il s'agit d'investissements de productivité qui visent à réduire les coûts. La confiance retrouvée, il faudra certainement s'orienter vers des investissements de capacité, créateurs d'emplois et de revenus nouveaux.

Pour la Reconstruction, que prévoit le MEDEF pour la Côte d'Ivoire en terme d'investissements chiffrés ?
Le MEDEF est une association indépendante d'entreprises, représentant les entreprises dans toutes ses dimensions, sociale, économique, environnementale, éthiqueCe n'est pas dans sa vocation d'investir. Ses membres certainement. Mais il est trop tôt de parler de chiffres.

Vous êtes également le PDG de GRAS SAVOIYE, spécialisé dans le courtage en assurances. Que compte faire votre entreprise dans un proche avenir en Côte d'Ivoire?
Je suis resté très prêt de notre filiale ivoirienne, j'ai pu constater pendant ces moments difficiles un attachement très fort des collaborateurs à l'entreprise, avec une conscience professionnelle jamais démentie. Nous avons bien sûr connu une réduction d'activité puisque nous accompagnons nos clients et l'évolution de notre métier est en relation directe avec celui des entreprises (réduction des stocks, de personnel, des investissements, baisse de Chiffre d'Affaires) ce qui réduit d'autant la matière assurable. Mais le coeur est là et nous sommes prêts à accompagner nos clients et l'économie ivoirienne dans son développement.

De la Côte d'Ivoire, dit-on, les entreprises françaises veulent atterrir sur le marché libérien qui est en chantier, via leurs filiales ivoiriennes. Pourquoi cette stratégie?
Le Liberia est un pays en reconstruction, voisin immédiat de la Côte d'Ivoire, qui a connu une crise faisant des dizaines de milliers de morts, des atrocités sans nom. La page semble résolument tournée. Pour aborder ce tout nouveau marché, il est naturel d'utiliser les bases proches de ce marché, des entreprises locales dotées essentiellement de main-d'?uvre africaine qui connaît l'environnement africain. En revanche, je nuancerai votre propos. Il n'est pas encore en chantier. Mais il va certainement le devenir rapidement. Il n'y a donc pas de temps à perdre. Nous avions, dans ce sens, reçu la Présidente du Liberia, Mme Johnson Sirleaf, l'année dernière. C'est une femme formidable dotée d'un courage extraordinaire.

La sortie de crise se consolide en Côte d'Ivoire. Dans l'immédiat, que comptent faire les entreprises françaises en terme de réinvestissement ?
Je vous le disais précédemment, c'est encore un peu tôt pour en parler. Ce déplacement s'inscrit dans cette quête d'informations et de contacts pertinents pour l'avenir.

Qu'a fait le MEDEF et le CIAN pour les rapatriés dont on a vu une bonne partie retourner sur les bords de la Lagune Ebrié ?
Ce n'était pas de notre compétence directe, mais nous avons suivi avec intérêt et joie ce retour. La page de ces incidents est, nous l'espérons, tournée. Nous avons beaucoup de respect et d'admiration pour le peuple ivoirien. C'est un peuple " majeur ", aurait dit M. Roussin. Un peuple qui sait régler ses problèmes et apporter, des solutions durables. Au-delà de la politique qui est nécessaire et mérite le plus grand respect, il existe tellement de liens d'amitié entre nos deux peuples, à travers nos entreprises, à travers nos partenariats multiples que j'ai vraiment confiance en l'avenir de nos relations.

Entretien réalisé par
Bamba Mafoumgbé bamaf2000@yahoo.fr

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