mercredi 4 avril 2007 par Le Nouveau Réveil

La nomination du chef de la rébellion au poste de Premier ministre de Côte d'Ivoire permettra-t-elle de relancer un processus de paix enlisé?
Voici donc, depuis le 29 mars, Guillaume Kigbafori Soro à la primature. La dernière carte pour une sortie de crise en Côte d'Ivoire est sur la table. Plus de quatre ans après le déclenchement de la rébellion, le 19 septembre 2002, et vingt résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU plus tard, les Ivoiriens ne boudent pas leur espoir de voir le nouveau chef du gouvernement s'entendre avec le président Laurent Gbagbo pour le retour définitif de la paix.
Les deux hommes ont bien des choses en commun. Ils se sont engagés très tôt dans la lutte politique et syndicale, et ont payé la même facture, en séjours de prison, au pouvoir houphouétiste. Ils affichent la même méfiance à l'égard du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), qui est resté aux affaires quarante ans durant, et la même aversion pour l'approche quelque peu patricienne de la politique qu'ils laissent volontiers à l'ancien président Henri Konan Bédié et à l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara. Ils nourrissent la même défiance à l'endroit de la France, dont la posture en Afrique représente plus à leurs yeux le service minimum d'une diplomatie gestionnaire et soucieuse de ses propres intérêts que le courage politique d'un État promoteur de la démocratie et du développement.
À 35 ans, Guillaume Kigbafori Soro ne peut cependant brandir les mêmes états de service que le chef de l'État. Il s'offusque encore aujourd'hui qu'on puisse lui trouver une certaine proximité idéologique avec lui. N'empêche, même si le nouveau Premier ministre s'en défend, le chef de l'État fut sinon son mentor, du moins un exemple. Il fut celui dans les pas duquel, au milieu des années 1990, il aimait à battre les pavés d'Abidjan, celui dont il partageait souvent la table. C'est notamment auprès de lui qu'il a acquis, outre le goût du contact et de la spontanéité joviale, ce côté enjoué, volontiers goguenard et un tantinet populiste. "Je fus proche, très proche de Laurent Gbagbo de 1995 à 1997", reconnaît-il. À l'époque, Soro avait même droit à son quart d'heure dans tous les grands meetings du Front populaire ivoirien (FPI, de Gbagbo) et du Front républicain, regroupant le Rassemblement des républicains (RDR), de Djeny Kobena, et le FPI. "Son c?ur bat là où sa tête penche, à gauche", écrit Yacouba Konaté, professeur de philosophie à l'université d'Abidjan.
De fait, Soro, comme Martial Ahipeaud, Eugène Djué, Blé Guirao, Charles Blé Goudé, Soumaïla Doumbia dit " Major " ou Yayoro Karamako, appartient alors à ceux que beaucoup d'Ivoiriens appellent " la génération Laurent Gbagbo ". Ceux qui empêchaient le régime d'Houphouët puis celui de Bédié de dormir. Tous firent leurs premières armes à la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci). Mais rares furent ceux à avoir mis dans leur engagement autant de constance et de détermination que lui, à avoir nourri, comme lui, leur vie au sel du militantisme, notamment à l'école du Parti communiste révolutionnaire de Côte d'Ivoire (PCRI, clandestin). Entre l'ancien pensionnaire du petit séminaire de Katiola, au nord de Bouaké, et le chef du gouvernement de réconciliation nationale, avec gardes du corps, grosse voiture et cocarde de la République au vent, il y a toute une vie de galère. Car Soro, alias le "Che", "Bogota" ou "Dr Koumba", n'est pas né coiffé. Il est le fils d'un employé de la Compagnie ivoirienne pour le développement du textile (CIDT) et d'une mère au foyer, tous deux décédés aujourd'hui.
Un de ses premiers faits d'armes au petit séminaire: une grève lancée à son initiative en 1986 pour protester contre la fréquence des plats de nouilles au porc, dont la cantine s'était fait une spécialité. Il en sera de même au lycée classique de Bouaké, où il est délégué de classe. "Par tempérament, mais aussi, avoue-t-il, parce que petit et frêle, j'avais peur de me faire boxer." La roublardise est là. Le pli de la contestation est pris quand, son bac en poche en 1991, il débarque à Abidjan. Et se range naturellement du côté des pourfendeurs du régime d'Houphouët jusqu'à son départ du pays, en 1998, pour la Grande-Bretagne, puis la France, où il doit poursuivre ses études d'anglais. Il réapparaît au lendemain du coup d'État de décembre 1999 qui porte le général Robert Gueï au pouvoir et dirige le Forum international des étudiants francophones (Fief). Commence pour Soro, qui a refusé quelques années plus tôt l'offre insistante de Gbagbo d'entrer dans le mouvement des jeunes frontistes, une nouvelle étape de son parcours : la politique. Il mobilise des milliers de jeunes au stade Houphouët-Boigny d'Abidjan et lance, au cours du meeting, l'idée d'une opération "mains propres" contre les anciens dignitaires du régime Bédié déchu.

Mais quand le général-président cherche à s'accrocher au pouvoir, Soro lance l'offensive contre la junte. Il s'associe au Forum des partis politiques que dirige le RDR, condamne l'" exclusion " d'Alassane Ouattara de la présidentielle d'octobre 2000, avant de se présenter, en décembre, comme second sur la liste RDR que conduit Henriette Diabaté aux législatives (finalement boycottées) à Port-Bouët. Entre décembre 2000 et septembre 2002, Soro disparaît du paysage politique ivoirien. On le dit un jour à Ouagadougou, un autre à Bamako avec l'ancien leader étudiant Oumar Mariko, un autre à Libreville. L'intéressé, lui, se contente, sourire en coin, de dire qu'il était en exil. Il revient tout de même de temps en temps - et discrètement - à Abidjan, où il rencontre certains de ceux qui, plus tard, figureront en bonne place dans la hiérarchie de la rébellion, notamment l'adjudant Tuo Fozié et le sergent Chérif Ousmane. Tous sont persuadés que le dialogue politique est bloqué et qu'il faut trouver une issue. Ce sera le soulèvement militaire.
Depuis, devenu moins syndicaliste et plus politique, le "Che" a été de toutes les rencontres où se discute le sort de la Côte d'Ivoire. Il est à l'aise au sein des Africains "d'en haut" (Abdoulaye Wade, Olusegun Obasanjo, Omar Bongo Ondimba, Blaise Compaoré, Denis Sassou Nguesso, Faure Gnassingbé...), dont certains se montrent très tôt sensibles à sa "cause". Wade et Obasanjo lui manifestent un sentiment quasi paternel. Le premier lui a délivré un passeport diplomatique pour lui faciliter ses déplacements, notamment à Paris, où vivent sa compagne et ses quatre enfants (trois garçons et une fille). Le second, qui lui trouve un enthousiasme contagieux, l'a convaincu un jour de novembre 2005 à Bonn (Allemagne) de se retirer de la course à la primature.
Soro retrouve aujourd'hui le Laurent Gbagbo qu'il voulait déboulonner depuis le 19 septembre 2002, mais avec lequel il a toujours entretenu un contact discret - direct ou indirect. Après Seydou Elimane Diarra, trop "gentil" pour réussir, et Konan Banny, trop ambitieux pour ne pas échouer, Guillaume Soro saura-t-il obtenir de Gbagbo qu'il fasse les concessions nécessaires au processus de paix sans lui donner le sentiment de se faire dépouiller de ses prérogatives? Les deux hommes jouent là leur dernière carte. La Côte d'Ivoire aussi...

ELIMANE FALL
In Jeune Afrique N°2412-2413 du 1er au 14 avril 2007

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