jeudi 5 avril 2007 par Le Patriote

Le Patriote : Monsieur le ministre, peut-on dire que l'accord de Ouagadougou est un accord de plus ?
Djibril Bassolé : Dans la chronologie des évènements qui se sont succédé, on peut dire que c'est un nouvel accord. Mais quand on regarde le contexte dans lequel les négociations se sont déroulées, les acteurs et les parties signataires de l'accord, et surtout quand on voit l'immense espoir que cet accord a suscité, je crois qu'on a de sérieuses raisons de croire qu'il s'agit du dernier accord qui va véritablement conduire les Ivoiriens mais aussi l'ensemble des ressortissants de la sous-région vers cette sortie de crise.

L.P : Personnellement, dites- nous comment vous avez vécu ces 45 jours de dialogue direct inter ivoirien ?
D.B : Le principal négociateur, sachez le, c'est le président du Faso qui m'a délégué avec son Conseiller juridique, Monsieur Zakané, un certain nombre de tâches, de contacts et de rédactions. Evidemment, nous nous sommes acquittés de cette tâche avec beaucoup de passion au regard des enjeux, avec beaucoup de sérieux aussi, compte tenu de la nature des questions qui étaient en discussion. Mais globalement, je dois dire que l'ambiance était très bonne. Nous avons bénéficié auprès des délégations du camp présidentiel comme des forces nouvelles d'une grande disponibilité et surtout d'une grande ouverture d'esprit. Il n'y a pas eu de problème qui n'ait pas trouvé de solution. La preuve justement, c'est qu'on a pu aboutir à un accord. Les parties ont discuté avec toujours le souci de faire des propositions constructives. Evidemment, ça n'a pas toujours été facile. Nous venons quand même d'une crise qui a secoué la côte d'Ivoire pendant des années. Il y a un climat de suspicion et de méfiance qui a longtemps persisté. Donc par rapport à certains points essentiels, effectivement, ça n'a pas été facile. Mais nous avons toujours abouti à des conclusions heureuses, jusqu' à proposer aux deux parties un texte consensuel accepté par tous.

L.P : Nous voudrions justement vous prendre au mot. Y a-t-il eu, au cours de ce long dialogue, des moments de tensions ou encore une volonté manifeste, de la part de l'une des parties, de rompre les négociations ?
D.B : Non ! Aucune volonté de rompre. Nous n'avons jamais décelé cette intention de tout arrêter et de rentrer. Jamais ! Il y a eu bien sûr des moments où nous avons pu discuter des heures entières tard dans la nuit. Et le lendemain, il fallait tous se retrouver tôt le matin. Ce n'était pas évident. Il y a eu, en effet, des moments de tensions. C'est sûr. Mais, on n'est jamais parvenus à la rupture

L.P : Dites nous laquelle des deux parties vous a le plus créé de problèmes
D.B : (Rires).Toutes les parties. Dans toute négociation de ce genre, toutes les parties ont leurs exigences. Il y a des points particuliers, évidemment, sur lesquels, ce sont les Forces nouvelles qui verrouillent. Mais, il y a des points aussi sur lesquels c'est le camp présidentiel qui a ses exigences et qui verrouille. Non ! Non ! Je pense qu'on ne peut pas dire qu'une partie a été plus commode que l'autre.
L.P : Quels sont ces points en question sur lesquels les parties ont verrouillé? et comment vous vous y êtes pris pour concilier des positions parfois divergentes?
D.B : C'est l'écoute ! Il faut être très attentif. Il faut écouter patiemment. Il faut surtout prendre en compte les préoccupations des uns et des autres. Et essayer de trouver, chez les uns et le autres, ce qui peut résoudre les préoccupations des uns et des autres. C'est cela la meilleure technique de la négociation. Mais surtout, il faut écouter. Il ne faut pas perdre de vue une préoccupation qui est essentielle pour l'une des parties. Parce que comme, on le dit, dans une négociation personne ne gagne tout mais personne n'accepte aussi de tout perdre.

L.P : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quels ont été les temps forts de ce dialogue direct ? L'identification ? Les questions de défense et sécurité ? Ou encore le processus électoral et la question de la gouvernance ?
D.B : Ah oui ! Les temps forts. Tous les points que vous soulignez là ont eu des moments de culminance. L'identification? C'est sûr, l'identification nous a beaucoup retenu. Les questions d'unification des deux forces belligérantes en présence nous ont aussi pris beaucoup de temps. D'autres comme le redéploiement de l'administration sur toute l'étendue du territoire et les mesures d'accompagnement nous ont pris un peu moins de temps. La zone de confiance et ainsi de suite sont des questions qui nous ont moins occupé. C'était d'ailleurs la résultante des deux questions essentielles que sont l'identification et la réunification des deux forces belligérantes.

L.P : Y a-t-il eu des points de réglage précis ? Si oui, lesquels?
D.B : Non ! Puisqu'on a pu aboutir à la signature d'un accord cela veut dire qu'on n'a pas été bloqué en tant que tel. Il y a des moments, bien sûr, où par précaution il valait mieux suspendre pour donner le temps de la réflexion aux uns et aux autres.

L.P : quels sont les points sur lesquels vous avez été obligés d'observer une suspension de séance ?
D.B : Presque sur tous les points. En plus nous avions un calendrier de travail qui nécessitait quand même qu'on fasse des pauses. Mais ce qu'il faut noter c'est qu'on a très rarement confronté les deux parties dans un face à face.
Nous avons fait la navette aussi longtemps qu'il le fallait pour essayer de négocier le plus possible les positions et faire en sorte qu'elles soient acceptables. Nous avons évité les face à face parce que c'est le face à face qui aurait pu amener les blocages. Parce que vous savez, quand vous avez deux parties qui s'affrontent, quelque fois même la tension des propos des deux parties peuvent faire en sorte qu'on démolisse complètement la base de confiance et le bon esprit de concertation.

L.P : Dans ces conditions, à quel moment les parties se sont- elles rencontrées dans un face à face?
D.B : Les parties ne se sont rencontrées avec le facilitateur, le président du Faso lui-même que lorsque, pratiquement, la navette avait fini son travail. (Rires). Et bien sûr, nous rendions compte régulièrement au facilitateur qui donnait aussi son point de vue, ses orientations. A son tour, il recevait les chefs de délégation pour discuter avec eux de certains points sensibles. Il appelait le Président Gbagbo, il appelait Monsieur Guillaume Soro et ainsi de suite. Voilà comment les choses ont fonctionné tout le long des débats.

L.P : Est-ce cette façon de faire qui a amené certains observateurs et mêmes certains acteurs du dialogue direct à affirmer que la méthode Compaoré de négociation est la plus originale ? Quelle en est la spécificité ?
D.B : Non mais la méthode Compaoré est liée à la personne elle-même, à son tempérament, à son expérience, à sa manière de gérer un certain nombre de grands dossiers. Je pense qu'ayant une bonne connaissance du terrain, des hommes, des problèmes de la côte d'Ivoire, il avait fini par trouver la bonne formule qui puisse lui permettre d'atteindre l'efficacité.

L.P : Monsieur le ministre, ne nous voilons pas la face. Il est clair que cet accord aurait été voué à l'échec comme tant d'autres avant lui si le cadre institutionnel d'exécution, l'environnement d'application n'avait pas été adéquat et bien maîtrisé. Comment avez-vous amorcé et négocié cette étape cruciale et substantielle du dialogue direct inter ivoirien que vous avez pratiquement piloté de bout en bout ?
D.B : Alors qu'est ce que vous appelez l'environnement d'application

L.P : Nous entendons par là le cadre institutionnel global dans lequel doit s'appliquer cet accord. Qu'en dites vous, Monsieur le Ministre ? En d'autres termes comment doit-on s'y prendre pour apaiser l'environnement et le climat politique qui étaient très tendus en Côte d'ivoire ?
D.B. : Ecoutez ! Je pense que l'originalité et la particularité de l'accord de Ouaga tiennent au fait qu'il n'a pas été question d'affaiblir une partie au profit de l'autre. Il a été question tout simplement de rechercher ensemble les objectifs à atteindre.

L.P : Quels sont, entre autres, ces objectifs à atteindre à votre avis ?
D.B : Ce sont les élections présidentielles, l'identification, le désarmement Et il s'est agi surtout de voir comment les deux parties en conflit, les deux principaux protagonistes vont se mettre ensemble pour régler ces questions là. Voilà ! Autrement dit, il y a comme une sorte de cogestion, de responsabilité commune pour régler les problèmes qui divisent les Ivoiriens. C'est une nouvelle approche. Et je crois qu'on doit pouvoir faire confiance aux parties qui sont engagées pour les aider à régler ces questions centrales qui sont, en réalité, des problèmes réels. A savoir les problèmes d'identification qui sont des problèmes concrets des populations qu'il faut pouvoir recenser et résoudre efficacement. Il faut, pour ce faire, pouvoir donner à ceux qui n'en ont pas, leurs premiers documents d'Etat civil. Il faut pouvoir leur donner des papiers d'identification, les recenser pour les prochaines élections présidentielles. Ce sont là des tâches pratiques que les deux parties se sont accordées à exécuter ensemble.

L.P : Y a-t-il eu une différence particulière entre la première et la deuxième partie du dialogue direct ?
D.B : La première partie a défini le cadre global de l'accord politique avec un recensement des tâches à exécuter par les deux parties. La désignation du Premier ministre, car c'est de cela qu'il s'agit, a fait l'objet d'une deuxième phase de négociation parce que les deux parties ont voulu se donner un temps de réflexion, de concertation pour que le secrétaire général des Forces Nouvelles puisse accepter l'offre du président Gbagbo d'être son Premier ministre. Donc après la signature de l'accord global, les deux délégations sont revenues, après un break d'une semaine, pour justement pouvoir s'entendre sur la désignation de Monsieur Guillaume Soro au poste de Premier ministre. Ce qui a été fait.

L.P : Par moments, avez-vous perçu l'existence d'un embryon de conflit de générations latent entre la nouvelle classe d'hommes politiques ivoiriens qu'incarne Guillaume Soro et l'ancienne classe ?
D.B : Non ! Non ! Je n'ai pas senti de signe de conflit de générations. Bien au contraire, ce qui s'est passé et dont on peut se féliciter, c'est cet esprit de concertation permanente entre les acteurs politiques ivoiriens.
L.P : Est-ce ce qui explique que les présidents Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bédié aient dépêché des émissaires ici même Ouaga au cours de la première phase du dialogue direct ?
D.B : Exactement ! Au niveau de la classe politique ivoirienne, on a bien vu que le Secrétaire général des Forces Nouvelles était en contact quasi permanent avec les premiers responsables des partis membres du G 7. Je crois que sur toutes les questions majeures, il a tenu à les consulter, à recueillir leur point de vue. Le facilitateur aussi en a fait de même.

L.P : Justement Monsieur le ministre, cette façon de procéder a donné souvent le sentiment que d'un dialogue initialement annoncé, on en était arrivé à une consultation générale. Partagez-vous ce sentiment ?
D.B : La consultation n'est jamais une mauvaise chose. Parce qu'il est vrai que le dialogue direct implique effectivement et directement les deux protagonistes. Mais à partir du moment où ils parlent de questions qui intéressent toute la Nation, il est bon aussi d'avoir les avis et les points de vue de toutes les autres composantes de la classe politique ivoirienne. C'est pour cela qu'en accord avec le président Gbagbo et le secrétaire général des Forces Nouvelles, le facilitateur a reçu d'autres personnes qui n'étaient pas forcement impliquées dans le dialogue direct, à savoir les responsables des partis politiques, mais aussi les responsables mêmes de l'ONUCI. Vous avez vu que M. Abou Moussa, M. Gérard Stoudman, les généraux des forces impartiales sont venus discuter avec le facilitateur pour pouvoir donner leurs avis et participer, ainsi, à leur manière, à l'?uvre de construction de la Paix.

L.P : Qu'est ce qui, à votre avis, a milité en faveur de la nomination des présidents Ouattara et Bédié au sein du Comité Permanent de Concertation ( C.P.C), l'un des deux organes de suivi de l'accord de Ouaga ?
D.B : C'est le souci permanent de l'ouverture. Bon ! Il faut que le dialogue direct ne soit exclusif mais inclusif plutôt. Et je pense que le facilitateur a voulu, bien sûr, avec l'accord du président Gbagbo, créer les conditions d'un processus électoral apaisé. De manière à éviter les tensions inutiles qui peuvent venir d'actions politiques isolées. Je pense que c'est véritablement ce souci majeur qui a guidé le facilitateur et qui l'a amené à faciliter la consultation des autres acteurs. Il a jugé bon que périodiquement, autour du président Gbagbo, il puisse lui-même rassembler les principaux acteurs et responsables du pays, pour se pencher ensemble dans un esprit de concertation permanente, sur le modalités pratiques de mise en ?uvre de l'accord politique de Ouagadougou.

L.P : Où en êtes-vous aujourd'hui avec le processus d'entérination par la communauté internationale de l'accord de Ouaga ? Peut on affirmer que le système des Nations Unies a définitivement adoubé ledit accord et qu'il n' y a plus de nuages entre les acteurs de la belligérance et cette communauté internationale qui s?est montrée plutôt prudente vis-à-vis des décisions du dialogue direct ?
D.B : Oui ! Déjà, je dois vous dire que les parties l'ont souhaité. Des démarches ont été entreprises dans ce sens. Et comme je vous le disais tantôt, le président du Faso, le facilitateur, a reçu ici même à Ouagadougou, les responsables de l'ONUCI. Il a eu un contact avec M. Ban Khi Moon, secrétaire général de l'ONU. Je dois également vous le dire, le conseil de sécurité attendait même que l'accord lui soit transmis pour qu'il puisse l'endosser. Ce qui a été fait. Tant pour l'accord politique que pour l'accord complémentaire sur le cadre institutionnel d'exécution. IL est intéressant à ce stade que le processus soit toujours avalisé par la communauté internationale par l'entremise du Conseil de sécurité de l'ONU.

L.P : Cela n'a pas empêché les réserves d'une partie de la presse nationale et internationale, ensuite, celles de certains acteurs majeurs de la scène, dont le président Henri Konan Bédié, qui nonobstant le fait qu'il soit membre du C.PC. a publié une déclaration critiquant certaines dispositions de l'accord. Comment, en votre qualité de principal artisan dudit accord, avez- vous accueilli ces attaques contre l'accord politique de Ouaga ?
D.B : Elles sont normales. Et elles sont d'ordre politique. Bien plus, elles traduisent aussi des questionnements, des interrogations. C'est normal que par rapport à un processus comme celui là, les partis politiques aient une vision, aient leur mot à dire. Moi je pense sincèrement que tout ceci participe évidemment de l'ouverture démocratique dans un pays comme la côte d'ivoire qui sort d'une crise de plusieurs années. Et il est bon d'ailleurs que les réserves, les observations des uns et des autres soient clairement exprimées et prises en compte. Il appartiendra maintenant aux deux parties qui se sont entendues pour gérer le pouvoir d'Etat, de mettre en ?uvre l'accord, de tenir compte de cet environnement politique et de faire en sorte, comme je dis tantôt, que le climat soit véritablement apaisé.

L.P : Après l'acte de désignation, l'acte de nomination du nouveau Premier ministre a été signé dans la foulée ; Monsieur le ministre, quel est aujourd'hui votre avis sur l'arrivée de Guillaume Soro à la Primature ?
D.B : Ne prenez pas la chose sous cet angle.

L.P : Nous voulons plus exactement savoir vos souhaits, vos attentes en ce qui concerne l'action gouvernementale future qui devra être menée par la nouvelle équipe que Guillaume Soro aura à former et à conduire ?
D.B : Mon souhait évidemment est qu'avec le président de la République, il puisse réussir sa mission qui est de conduire le gouvernement de transition dans cette phase de sortie de crise jusqu'aux élections présidentielles. Voyez vous ? C'est cela l'essentiel. Et je pense que les conditions sont créées. Il en a les aptitudes. Le président de la République est disposé à lui donner les moyens pour qu'il puisse réussir sa mission pour le plus grand bien, le plus grand bonheur de l'ivoirien.

L.P : Monsieur le ministre, la mise en ?uvre de cet accord serait un leurre s'il n'est pas exécuté, concomitamment dans une dynamique globale de paix et de réconciliation en côte d'ivoire. Dans les minutes et les textes de l'accord, qu'avez-vous prévu, au juste et de façon spécifique pour décrisper totalement l'atmosphère et apaiser en définitive l'environnement socio politique dans le pays ?
D.B : Il y a dans l'accord des dispositions relatives à un code de bonne conduite. Ces dispositions appellent tous les acteurs, les journalistes, les responsables des partis politiques et les autres acteurs sociaux à accompagner l'accord, à éviter les propos ou les comportements qui peuvent ressembler à de la belligérance pour que le climat de confiance et de réconciliation se développe. Je pense que la mise en place de cette dynamique de paix et de réconciliation appartient en premier lieu aux ivoiriens. Et nous avons de sérieuses raisons de croire que les ivoiriens sont vraiment désireux de vivre en paix. Ils sont vraiment désireux de relancer l'économie de leur pays, de tenir leur place de leader dans l'économie de notre sous région. Nous ne pouvons que les accompagner. Bien sûr dans une position privilégiée. Les deux parties font confiance au facilitateur, se référeront à lui en cas de divergence d'interprétation. Donc la position du facilitateur devient intéressante pour qu'il s'implique directement et personnellement dans ce processus de réconciliation nationale. Mais, l'essentiel sera quand même fait par les acteurs politiques ivoiriens.

L.P : Une question centrale était la gestion efficiente de la résolution 1721. Comment, au cours de ce dialogue direct, la parenthèse Banny a-t-elle été réglée ? Etait- ce le souhait des acteurs de la belligérance ou du facilitateur lui-même de nommer un nouveau Premier ministre en la personne de M. Guillaume Soro ?
D.B : Pourquoi vous la qualifiez de parenthèse ? Ce n'est pas une parenthèse. Le premier ministre Charles Konan Banny a été désigné par la Résolution 1633 du Conseil de sécurité pour assurer les fonctions de Premier ministre dans le processus de transition en côte d'ivoire. Avec bien sûr un certain nombre de pouvoirs qui ont été définis par la 1633 et reprises par la 1721. Bon ! Le processus a évidemment connu quelques accrocs mais ce n'est pas la faute du premier ministre Charles Konan Banny. Autrement dit, et c'est pour cela, je pense qu'il ne faut pas traiter cela de parenthèse. C'est plutôt un processus qu'il a mené du mieux de ses possibilités. Il y a cru. Il y a mis toutes ses forces physiques et intellectuelles. Mais il y a eu bien sûr des blocages de tous ordres qui ont émaillé le processus. Mais à partir du moment où les deux parties au conflit ont voulu faire autre chose, ont voulu se concerter pour discuter directement et aborder cette phase de sortie de crise d'une autre manière en n'oubliant pas, bien sûr, le fond du problème qui est l'identification, on ne pouvait que les y accompagner. Ce sont les parties elles -mêmes qui, à un moment donné ont souhaité mettre en place un nouveau cadre institutionnel d'exécution qui a évidemment confié la responsabilité de la conduite et la chefferie du gouvernement au secrétaire général des Forces nouvelles. Et la facilitation n'a fait que le constater et le transmettre aux différentes structures de la communauté internationale qui en ont pris acte et qui ont entériné le fait que Guillaume Soro ait été désigné comme Premier ministre.

L.P : Est-ce que la facilitation a eu la courtoisie d'en informer aussi le Premier ministre Charles Konan Banny de cette volonté des acteurs de la belligérance ?
D.B : Evidemment ! Cela a été fait comme il se doit.

L.P : Qu'est ce qui explique, monsieur le représentant du facilitateur, ce travail de stricte confidentialité et de discrétion totale qui a entouré le déroulement du dialogue, de la première à la seconde phase ?
D.B : Cela était nécessaire. Nous avons nous-mêmes recommandé aux parties d'être très discrètes. Parce qu'il n'y a rien de pire que de voir des parties qui s'affrontent, s'invectiver par l'entremise de la presse. Après, on va aller reprocher aux journalistes de ne pas bien faire leur travail. Mais à bien y réfléchir, c'est quand, à la base, on leur donne des éléments qu'eux développent les positions de chacune des parties aux négociations. Et c'est à partir de ce moment que les choses se compliquent. Chacun veut tellement bien faire. Bon ! Quand les positions sont ainsi connues par l'entremise de la presse, c'est compliqué. Parce qu'on a vu beaucoup de situations où les positions ont changé littéralement du jour au lendemain. C'est connu ! Et quand il en est ainsi, les retours en arrière sont difficiles. Pour des raisons évidentes d'orgueil et d'amour propre, chaque partie y va de son commentaire : On va dire que j'ai reculé. On va dire que j'ai fait preuve de faiblesse sur tel ou tel point précis . Alors c'est pour toutes ces raisons qu'on a préféré travailler dans la discrétion la plus totale.

L.P : Ce n'est pas une excuse pour la presse. Mais par moment, n'avez-vous pas eu le sentiment net que ce travail de discrétion qui a entouré les négociations a plutôt eu tendance à alimenter davantage les rumeurs et la suspicion ? N'était ce pas une forme d'entrave au droit d'accès aux sources de l'information ?
D.B : ça c'est encore le fait de vous les journalistes (Rires). Savez- vous que nous avons avec nous la réalité des choses. On savait avec exactitude à quel rythme on avançait dans les négociations. Quand même, vous n'allez pas venir entrer dans nos chambres pour rechercher l'information.( Rires). Les parties, en revanche, ont bien joué le jeu. Elles ont parfaitement bien respecté les consignes du facilitateur. Du coup, cela a permis que nous-mêmes ne soyons pas ceux là mêmes qui allaient ouvrir la brèche. Parce que si nous demandons aux parties de faire preuve de discrétion et que, à notre tour, nous mêmes les acteurs de la facilitation, nous nous permettons de nous répandre dans la presse, nous n'aurions pas été conséquents avec nous-mêmes.

L.P : Le chronogramme annexé à l'accord de Ouaga prévoit la mise en ?uvre de toutes actions concrètes répertoriées en dix mois maxima. Pensez-vous raisonnablement, dans le contexte ivoirien du moment où les meurtrissures de la guerre ne sont pas encore totalement cicatrisées que ce délai est raisonnable ?
D.B : Et bien, si, si, siTechniquement c'est possible. De toutes le façons, pour l'instant, le chronogramme a été bien respecté. Le Centre de Commandement Intégré (C.C.I) a été mis en place. Le cadre institutionnel d'exécution de l'accord est en train d'être mis en place. Le Premier ministre a été nommé. Tout ceci a été fait dans les délais impartis. Et d'ici le Dimanche 8 Avril, le Premier ministre devrait normalement pouvoir proposer au président de la République la composition du gouvernement. Et puis, on rentrera dans des phases beaucoup plus opérationnels sur les questions de regroupement des ex-combattants des deux forces en présence, de désarmement, d'unification des forces, de redéploiement de l'administration sur toute l'étendue du territoire, de la préparation technique des élections et ainsi de suite. S'il y a un décalage, cela ne pourra l'être que pour des raisons techniques.

L.P : Soyez plus explicite, monsieur le ministre. Qu'entendez vous au juste par raisons techniques ?
D.B : Je veux dire que si l'identification commence et qu'on se rend compte qu'on n'a pas pu conduire correctement l'enrôlement des deux tiers ou la moitié des ivoiriens et de faire tout ce qui permet d'aller aux élections sereinement, on peut décider ensemble, de commun accord, de se donner encore un petit délai. Mais je veux dire que ce sont des délais techniques.

L.P : Des délais estimés, à votre avis, à combien de temps ?
D.B : Je n'en sais rien. Franchement, je n'en sais rien. Et je ne vais pas me hasarder à faire des pronostics maintenant. Parce que ce sont les organes techniques tels la C.E.I et les opérateurs techniques chargés de l'identification et de l'enrôlement électoral qui pourront se prononcer.

L.P : Dans ces conditions, peut-on se hasarder à affirmer que les perspectives de normalisation en Côte d'Ivoire sont réelles ?
D.B : Elles sont excellentes. C'est d'ailleurs ce qui nous rend aussi enthousiastes. De toutes les façons, il faut déjà prendre les choses du bon côté et positiver. Disons qu'il y aura des petites difficultés, il y aura certainement des accrochages par ci par là. L'essentiel est que ces difficultés ne remettent en cause la marche générale du processus et que les mécanismes de concertation qui sont prévus dans l'accord puissent permettre, chaque fois q'il y a besoin, de se pencher sur ces difficultés, de se concerter et de trouver la bonne solution pour avancer.

L.P : Avec votre permission, nous allons aborder le volet de notre entretien qui porte sur les questions de politique intérieure du Burkina Faso où vous occupez, depuis de nombreuses années, les fonctions de ministre de la Sécurité. Décembre dernier, des troubles d'une rare gravité sont survenus ici à Ouagadougou, opposant policiers et gendarmes. En tant que ministre de la Sécurité, avez-vous le sentiment d'avoir fait, bien fait votre travail de sécurisation des biens et des personnes ?
D.B : Ce sont des incidents fâcheux. Mais qui probablement n'auraient pas atteint ce degré d'importance en terme de troubles s'il n'y avait pas eu mort d'homme. En réalité, il y a eu des affrontements au cours desquels un militaire a perdu la vie. Donc, le lendemain, les militaires se sont organisés pour, peut être, créer des actions de représailles sur les unités de police. Malheureusement, il y a eu deux morts, malgré la consigne qui avait été donnée pour limiter les dégâts. Puis, le mouvement a pris une autre tournure. Une tournure de revendication. Ce qui a laissé percevoir qu'il y avait des problèmes au sein de certaines unités militaires que le commandement s'est attaché à résoudre. Je pense maintenant que tout est véritablement rentré dans l'ordre. Des mesures sont en train d'être prises pour que ce genre d'évènements fâcheux ne se reproduise pas.

L.P : Les militaires ont le sentiment d'être lésés par rapport à leurs frères d'armes des unités de police qui bénéficieraient, avons-nous appris, d'une plus grande attention de la part des autorités. Quels sont donc les enseignements que vous tirez de cette situation et quelles sont les mesures idoines que vous prenez pour prévenir de tels incidents ?
D.B : Les enseignements que nous en tirons, c'est que les forces de défense et de sécurité devront mieux fraterniser, mieux se connaître, mieux se fréquenter, avoir des formations communes de base pour éviter justement qu'il y ait ce genre de suspicion où les uns pensent que les autres sont super équipés

L.P : Il y a deux semaines de cela, des violences populaires et des actes de vandalisme se sont abattus sur une chaîne de débits de boisson et de nourriture appelés les Bars Kundé . Que s'est- il passé et qu'a fait le ministre de la Sécurité pour régler le problème posé ?
D.B : Oui ! Mais il faut remonter à l'origine. Ce sont quand même des actes criminels ignobles qui ont amené cette colère d'une partie de la population ouagalaise. Bien sûr, ces manifestants se sont complètement trompés de cible en allant s'attaquer aux bars Kundé et en croyant que le propriétaire du bar en question était impliqué dans l'affaire. Ou alors que celui qui avait été arrêté par la police comme présumé auteur était le propriétaire des bars Kundé. Il y a eu une colère populaire. Mais, ce qui est important, c'est déjà de pouvoir ramener le calme, de rétablir l'ordre et de laisser les structures policières et judiciaires continuer leur travail d'investigation. Les gens ont eu le réflexe de se rendre justice eux-mêmes. Cela arrive dans toutes les sociétés. Surtout lorsqu'il y a, comme je l'ai dit des actes qui choquent le moral. Ils ont voulu se venger. Evidemment, dans le cortège des manifestants, il y a eu un certain nombre de bandits et de vandales qui en ont profité pour piller les biens par-ci, par-là. Les forces de sécurité publique ne pouvaient pas non plus réagir avec de la violence encore moins utiliser des moyens de proportion disproportionnés. Il vaut mieux quand c'est comme ça, travailler à ramener le calme. C'est la raison pour laquelle moi-même, bien qu'étant en plein dialogue direct, j'ai dû me rendre sur le terrain, dans la famille des victimes pour d'abord présenter les condoléances aux familles dépitées et appeler leurs proches et les habitants du quartier à garder le calme, à faire en sorte que les investigations se poursuivent. Et le plus important, c'est de retrouver les auteurs et complices de l'acte d'assassinat qui a donné la mort aux deux victimes.

L.P : Une opinion répandue ici à Ouaga et dans la presse ivoirienne fait état de ce que vous seriez pressenti pour succéder au président du Faso au cas où celui-ci se résoudrait à prendre sa retraite politique
D.B : Qu'est ce que vous racontez-là ? (L'air grave, il se redresse de son fauteuil avant d'éclater de rire et de revenir dans le débat).

L.P : L'opinion vous prête la même efficacité en matière de gestion et de règlement des crises. Ceci explique peut- être cela, ne pensez vous pas ?
D.B. : Non ! Non ! Je n'ai pas d'ambition politique. Ecoutez ! Moi je suis un officier appelé à des fonctions d'Etat. J'essaie de m'en acquitter au mieux. Avec l'expérience, la formation que j'ai pu avoir. Mais je ne pense pas à ça.

L.P : Et pourtant, ce n'est pas nous qui le disons, monsieur le ministre
D.B : Le président du Faso et nous sommes à peu près de la même tranche d'âge et de la même génération. Nous irons à la retraite ensemble. (Rires)

L.P : Une autre affaire en suspens reste l'affaire Balla Keita . Un dossier que vous avez eu à gérer à l'époque des faits qui remontent à cinq années bientôt. Où en est aujourd'hui l'enquête ?
D.B : (Il prend un air attristé, sa voix est étreinte par la douleur du souvenir du drame et son débit devient plus lent). Oui à l'époque, bien sûr, j'étais ministre de la sécurité. Nous avons assisté à toutes les constatations mais aussi à toutes les investigations qui se sont déroulées par la suite pour essayer d'identifier les coupables pour les besoins de la justice. Mais je dois vous avouer que les criminels s'étaient suffisamment bien organisés de manière à ce que, en dehors des hypothèses de travail qui avaient été élaborés, les enquêteurs n'ont pas pu, véritablement, identifier le ou les personnes qui avaient pu organiser le crime. Le dossier, bien sûr, est toujours en justice. Voilà ! Tous les faits nouveaux qui pourront permettre d'avancer seront les bienvenus.

L.P : Qu'en est ?il de la commission rogatoire qui avait été demandée à l'époque pour permettre d'interroger certaines autorités militaires ivoiriennes nommément citées dans l'affaire?
D.B : Oui, à l'époque, je pense que des commissions rogatoires avaient été établies.

L.P : Mais pourquoi n'ont-elles pas pu prospérer pour les besoins de l'enquête ?
D.B : Vous savez, les commissions rogatoires sont ce qu'elles sont. Je voudrais pour terminer vous remercier de m'avoir permis de m'exprimer à travers les colonnes de votre journal. Et puis dire évidemment que ces semaines de facilitation nous ont été, à nous aussi, très bénéfiques. Nous avons rencontré des hommes et des femmes très disponibles, très engagés. En tout cas, nous restons aux côtés du facilitateur pour l'aider dans cette seconde phase qui est celle de l'accompagnement du processus et qui nous amènera à vous rendre visite à Abidjan de temps à autres. K.K.
Réalisée à Ouagadougou par Khristian Kara (Envoyé spécial)

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023