jeudi 5 avril 2007 par Nord-Sud

Au moment où les belligérants du conflit ivoirien empruntent le chemin de la paix, les victimes de guerre ont pris le pari de les accompagner. Le président d'une de leurs fédérations Charles Dosso, tout en privilégiant l'intérêt général, suggère que l'Etat n'abandonne pas les victimes de guerre.

Les parties ex-belligérantes, celles-là qui vous ont causé des préjudices ont décidé de se retrouver à travers l'Accord de Ouagadougou. Comment les victimes de guerre que vous êtes réagissent devant cette situation ?

On ne peut pas occulter les souffrances que les victimes de guerre ont endurées et continuent d'endurer. Les blessures sont profondes et les préjudices incommensurables mais on ne peut pas s'éterniser non plus dans les ressentiments. Le pays est en ruine et il faut tout mettre en ?uvre pour sortir des difficultés qui sont les nôtres depuis 5 longues années. C'est une démarche de raison et j'invite tout le monde à s'inscrire dans la nouvelle voie tracée, celle de la pacification du territoire. Certes, il y a eu de précédents arrangements qui n'ont pas été respectés mais je dois dire que l'accord de Ouagadougou suscite de réels espoirs pour la renaissance de la Côte d'Ivoire. Aucun Ivoirien n'a le droit de saborder cette chance que Dieu nous donne. C'est pourquoi je salue cet accord, le tout premier issu de négociations ivoiro-ivoiriennes. Il s'agit d'un compromis prometteur et s'il est bien appliqué, je pense que tous les Ivoiriens gagneront ; y compris les victimes que nous sommes. Je souhaite une réelle prise de conscience des signataires afin que l'espoir né au sein de la population ivoirienne aille jusqu'au bout. Il faut qu'ils fassent en sorte que Ouagadougou ne ressemble pas aux autres accords qui ont été dévoyés parce que la paix, je le crois, est à notre portée.

Qu'attendez-vous concrètement de cette nouvelle donne politique ?

La principale source de motivation pour l'accord de Ouagadougou, c'est d'abord et avant tout, le retour de la paix en Côte d'Ivoire. Il faut que cela soit clair pour tout le monde. Il serait incongru de vouloir se mettre en marge de ce processus de retour à une vie normale et nous avons l'intention de prendre une part prépondérante dans cette croisade contre la guerre. Toutefois, il me paraît peu réaliste de raisonner aujourd'hui dans des termes qui frisent l'égocentrisme même si nous nourrissons secrètement l'idée que les victimes ne passent pas par pertes et profits. Pour ma part, je pense qu'il serait beaucoup plus commode que les autorités les inscrivent quelque part au tableau d'honneur. Cela dit, nous ne sommes pas utopistes. Je veux dire que, nous victimes de guerre, sommes dans un tout qui est la Côte d'Ivoire et qu'au moment où ce tout est en train de marcher vers la paix, nous ne devons pas nous mettre en travers comme je l'ai déjà dit. Notre rôle est de marcher avec lui, de l'accompagner tout en préservant les intérêts élémentaires. En effet, je pense très sincèrement que la réconciliation n'est pas en déphasage avec les intérêts des victimes de la guerre. Et notre objectif devra être de faire en sorte que les victimes de guerre arrivent à mettre leurs problèmes au nombre des priorités. En vérité, la victime de guerre ne doit pas être la victime du processus de réconciliation.

Les victimes de guerre, dites-vous, ne doivent pas être les victimes de la réconciliation. La réparation à laquelle vous vous attendez est-elle morale ou financière?

Le préjudice est pluriel. Il est aussi bien moral que financier. Quand on a fait une nomenclature des victimes de guerre, on a répertorié deux groupes. Ceux qui ont subi des préjudices financiers et ceux qui ont eu des préjudices physiques. Mais, il faut d'abord que le statut des victimes soit reconnu et qu'on ne parle plus de simples présomptions. En effet, le flou actuel implique qu'il n'y a que des supposées victimes de guerre en Côte d'Ivoire. C'est pourquoi nous militons en faveur d'une loi portant réparation des préjudices de guerre.

Que recouvre la notion de victimes de guerre? Est-ce que celui qui était à Abidjan au moment du déclenchement de la crise par exemple en est une?

La dénomination victime de guerre est un terme générique. La victime de guerre intègre aussi bien les sédentaires qui ont subi un préjudice matériel ou affectif que les déplacés. La victime de guerre n'est pas seulement un déplacé. Tout déplacé est une victime de guerre, mais la victime de guerre n'est pas obligatoirement un déplacé. Il ne faudrait donc pas que cela heurte les consciences lorsqu'on voit quelqu'un qui a été toujours à Abidjan se réclamer victime de guerre. Il peut avoir toujours été à Abidjan et avoir fait des réalisations dans les zones assiégées. Mais à cause de la guerre, il peut perdre tout ce qu'il y avait. Une telle personne est aussi victime de guerre au même titre que le déplacé qui, du fait qu'il se soit déplacé, est psychologiquement victime de guerre. Mais est-ce que le préjudice psychologique est indemnisable ? Ce sont autant de questions que nous nous posons qui peuvent trouver des réponses réelles dans une loi. Nous avons déjà des propositions dans ce sens.

Pouvez-vous déclinez les points saillants de ces propositions?

Nous avons fait une proposition de loi à l'Assemblée nationale à la date du 11 juillet 2005. Cela fait bientôt deux ans que la loi est sur la table des députés. Le président de cette institution a fait savoir que nous n'étions pas une structure de saisine de l'Assemblée nationale. Des pistes nous ont été indiquées pour que notre voix puisse porter. Nous avons emprunté ces pistes et nous nous sommes heurtés à une disposition particulière du règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Ce point du règlement stipule que toute loi proposée qui engage des dépenses supplémentaires à l'Etat de Côte d'Ivoire fait obligation à son initiateur de proposer une autre loi allant dans le sens de renflouer les caisses de l'Etat de sorte qu'il puisse engager ces dépenses. Cela est une difficulté. Mais nous continuons de suivre le dossier. En son temps, le président de la République nous a promis une ordonnance lorsque nous l'avons rencontré le 19 septembre 2005. Nous pensons que le moment viendra où ces éléments vont être pris en compte.

Cette loi, si elle était prise, suffirait-elle au règlement de vos problèmes ?

La loi que nous proposons insiste sur la définition des victimes de guerre, sur les indemnisables et les non indemnisables. Parce qu'il y a des victimes directes et des victimes indirectes de la guerre. Dans les dispositions que nous avons envisagées, les victimes indirectes ne peuvent pas être indemnisées au risque de voir venir toute la Côte d'Ivoire. Nous avons aussi insisté sur la création d'un fonds d'aide aux victimes de guerre. C'est en cela que nous saluons les récentes dispositions prises par le président de la République à l'effet de créer un fonds d'aide au retour des déplacés de guerre. Peu importe la dénomination, mais l'essentiel est qu'un fonds sera mis à la disposition de ces personnes qui ont été affectées par la guerre. Cette assistance leur permettra de recouvrer un minimum de dignité. En plus du fonds, il y a l'agence nationale des victimes de guerre et surtout la commission nationale des victimes de guerre. Nous souhaitons ardemment que le processus d'indemnisation des victimes de guerre échappe aux intérêts politiques et à l'instabilité au sommet du ministère des Victimes de guerre. C'est pourquoi nous avons proposé cette commission qui sera multipartite ; elle devra intégrer les Victimes de guerre. Elle sera certes placée sous l'autorité du ministre des victimes de guerre mais aura une autonomie à l'image de la Commission électorale indépendante (Cei). De sorte que les changements ne puissent pas, à chaque fois, bouleverser tous les travaux qui se font au profit des victimes de la guerre. Nous allons en faire un combat majeur pour qu'on ne cherche pas à caporaliser le devenir des victimes pour rien.

Vous organisez un congrès qui est parrainé par le ministère de la Réconciliation nationale. Aucune référence n'est faite au ministère des Victimes de guerres, votre tutelle dans les annonces. Y a-t-il problème ?

Ce n'est pas une question ou de défiance. En tout cas, je puis vous assurer de la parfaite symbiose entre la tutelle et nous. Dans notre entendement, il était question de mettre en avant le pardon qui est une idée dominante, celle de la réconciliation qui constitue le véritable socle de la paix en Côte d'Ivoire. Nous sommes convaincus que lorsque les c?urs seront apaisés, il y aura la concorde.

Qu'attendez-vous prioritairement du nouveau Premier ministre Guillaume Soro et des populations?

Je voudrais sincèrement saluer la nomination de Guillaume Soro à la primature. Je pense qu'il y avait une fracture du pays au point où il était difficile de quitter le Sud pour aller au Nord et vice versa. Les enfants de ces zones se regardaient en chiens de faïence. Avec ce bond qualificatif matérialisé par la cohabitation entre lui et le chef de l'Etat, j'ose croire que le rideau de fer qui séparait les deux zones va s'effondrer et permettre à la Côte d'Ivoire d'être réunifiée. Les victimes de la guerre doivent aussi être reconnues juridiquement. Je sais par ailleurs qu'on ne peut pas décréter la fin des rancoeurs. C'est un processus qui va être long. A l'endroit des populations, je voudrais dire qu'il faut qu'elles ne confondent pas les arrangements politiques à la réconciliation réelle. Tout ce qui se passe aujourd'hui au sommet de l'Etat, ce sont des arrangements politiques qui doivent faciliter la concorde nationale. En clair, les politiques ont disposé les choses de telle sorte que les tendances se rapprochent et que le rideau de fer tombe effectivement. L'autre pan du travail qui reste à faire est le rapprochement des populations, des individus, des citoyens. Cela dit, que ceux qui ont pu tirer partie de quelle que manière que ce soit de la guerre aient le triomphe modeste. Il ne faut pas qu'ils donnent l'impression de narguer les autres. Posons ensemble des actes de contrition et de solidarité.

Le discours que vous tenez se veut apaisant. Le congrès de votre fédération ira-t-il dans le même sens ?

C'est un congrès électif. Il va falloir apporter un sang nouveau à la fédération en la redynamisant. Il n' y a pas de raison de s'angoisser vu qu'il s'agit simplement de mettre en place des stratégies qui puissent permettre de répondre aux exigences de la réconciliation. Une réconciliation au cours de laquelle la victime doit pouvoir faire valoir son point de vue. Nous comptons réfléchir et demander une audience au Premier ministre pour lui poser nos problèmes. Après cela, nous allons entreprendre la même démarche en direction du président Laurent Gbagbo.

Justement le chef de l'Etat a déjà octroyé 136 millions de Fcfa aux victimes. Qu'avez-vous fait de cet argent ?

Je dois préciser que notre fédération n'avait pas la gestion de ces fonds. C'est plutôt le conseiller présidentiel chargé des victimes de guerre, Benoît Daudié qui s'en occupe. Nous avons reçu notre quote-part que nous avons utilisée pour équiper notre siège. On nous reproche souvent de n'avoir pas distribué cet argent mais ceux qui le disent veulent nous maintenir dans la mendicité, l'indigence. Nous avons privilégié les équipements et les infrastructures parce que nous voulions nous ouvrir au monde afin de nous donner les moyens nécessaires à notre autonomie. Et nous avons réussi cette mission puisque nous sommes aujourd'hui agréés par la communauté internationale. A partir de ce moment, nous pouvons multiplier les axes de sollicitations parce que la crédibilité est établie.

Mais vous avez tout de même été mis en accusation dans la gestion des fonds alloués aux victimes de guerre...

C'est vrai que j'ai été mis en accusation mais par des personnes extérieures à notre structure notamment le conseiller Daudié. J'aurais pu y accorder du crédit s'il s'agissait des membres de ma fédération. Cela dit, permettez que je ne revienne plus sur cet épisode fâcheux car nous sommes en phase de réconciliation et il ne serait pas intelligent de remuer le couteau dans une plaie qui se cicatrise. De toutes les façons, ce sont des critiques et les critiques permettent de s'améliorer. J'ai tout pardonné et mon travail aujourd'hui, c'est d'assainir notre image. Le conseiller du président y souscrit puisqu'il a répondu favorablement à l'invitation que nous lui avons lancée pour notre congrès.

Pourquoi y a-t-il tant d'associations de victimes de guerre ?

Je ne pense pas que le temps soit à la pensée unique. Ce n'est d'ailleurs pas à encourager. Nous sommes en démocratie et il faut laisser tout le monde s'exprimer. Pour ma part, je suis en train de consolider l'union au sein de ma fédération.

Entretien réalisé par Lanciné Bakayoko

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