vendredi 6 avril 2007 par Fraternité Matin

Monsieur le Président,
Je viens de recevoir votre correspondance en date du 4 avril 2007, référencée n°152/AN/GPPDCI/CS qui fait suite à celle du 8 mars 2007 référencée n° 126/AN/GPPDCI/CS et celle qui m'était semble-t-il destinée et que vous avez voulue " ouverte " et qui est parue dans les colonnes du quotidien " Le Nouveau Réveil " du 2 avril 2007. Dans votre correspondance en date du 8 mars déjà, vous écriviez que vous veniez seulement d'apprendre et cela " avec surprise " que l'un des membres de votre groupe, en l'occurrence, Monsieur Kobenan Kouassi Adjoumani, était cité à comparaître devant le tribunal correctionnel d'Abidjan pour le délit d'offenses au Chef de l'Etat, faits prévus et punis par le code pénal ivoirien d'une peine allant jusqu'à deux années de prison. Vous attachant alors à une lecture bien surprenante des dispositions pertinentes de l'article 68 de la Constitution de notre pays, vous m'aviez presque fait injonction, excusez du peu, je cite, de " prendre toutes les dispositions utiles pour mettre un terme à cette poursuite illégale ".
Dans celle du 4 avril 2007, vous poursuivez dans les mêmes invectives, loin de la saine appréciation des textes que vous citez vous-même et cette fois, vous menacez en des termes sans équivoque, et je cite à nouveau, " si vous laissez faire, cela fera date dans l'histoire de la Côte d'Ivoire, en même temps que vous mettrez en péril la sécurité de l'ensemble des députés, y compris la vôtre ".
Faisant déjà fi du peu de respect que recelait votre première correspondance, j'ai entrepris à l'effet de statuer sur votre demande ou plutôt sur votre injonction, de mettre en mouvement les organes de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire en convoquant la réunion du bureau le 27 mars 2007.
Au terme de cette réunion du bureau de l'Assemblée nationale, il a été très clairement demandé à votre groupe, de produire le dossier complet des poursuites entreprises contre Monsieur Kobenan Kouassi Adjoumani, pour qu'un avis circonstancié soit donné par cet organe.
Quoi de plus normal, pour une Institution qui se veut crédible, quand il s'agit à la fois avez-vous dit, de la liberté d'un de ses membres et plus encore de la liberté tout court qui m'est chère, dont la défense en tout état de cause ne s'accommode pas d'a priori et encore moins d'à peu près. En lieu et place du dossier réclamé par le Bureau et notamment de la citation servie à Monsieur Kobenan Kouassi Adjoumani et de réponses aussi exhaustives qu'exactes à des questionnements simples tels que la nature des faits objets de la poursuite, la nature des actes de poursuite et les actes de poursuite, l'état de la procédure au moment de la saisine de l'Assemblée nationale et les raisons de la réaction tardive du groupe parlementaire PDCI-RDA, puisqu'il est apparu que le procès a cours depuis juillet 2006, vous avez répondu par un document contenant une série de dénégations qui n'avaient pas vocation à éclairer le Bureau.
Dans la foulée, vous avez cru devoir, ignorant les règles élémentaires de courtoisie et de bonne intelligence institutionnelle que commandent les rapports entre les composantes de notre Institution, faire une adresse au président de l'Assemblée nationale dans la presse dont il faut penser qu'elle n'avait pour véritables destinataires que vos militants ou les parents de Monsieur Kobenan Kouassi Adjoumani, mais en aucune manière, au Président de l'Assemblée nationale qui attend toujours le dossier du procès pour le soumettre au bureau de l'Assemblée nationale.
C'est donc dans cette attente que votre groupe parlementaire qui se découvre des vertus de " défenseur " de notre Auguste Institution, adresse à nouveau à son président, une correspondance dite de rappel, qui se garde bien curieusement, d'évoquer la lettre " ouverte " parue dans le quotidien " Le Nouveau Réveil ", comme pour vous convaincre que celle-là ne m'était pas vraiment destinée, mais l'était bien aux militants du PDCI. Que dites-vous de nouveau dans cette autre correspondance, Monsieur le président du Groupe parlementaire PDCI-RDA? Rien, sinon que par un tour de passe-passe dont vous détenez depuis des décennies le secret et comme vous aviez pu le faire en d'autres temps, votre groupe octroie au Président de l'Assemblée nationale des pouvoirs propres que vous prétendez à tort constitutionnels, pour dites-vous "éviter à l'un de ses collègues d'être ridiculisé par le pouvoir judiciaire".
Il s'agit là de la manifestation d'une ignorance de la loi fondamentale qui n'est tolérable de la part d'un représentant de la nation, qui toujours à tort, se considère plutôt comme représentant d'un parti.
Il s'agit également d'une méconnaissance flagrante de l'histoire même de ce jeune Etat, que de prétendre qu'aucun député ivoirien n'a jamais fait l'amère expérience de poursuites judiciaires.
C'est enfin une amnésie sélective que de penser que le président de l'Assemblée nationale puisse renier à ce point les textes fondateurs de notre République.
Le député Yves Fofana, poursuivi dans une affaire d'abus de biens sociaux portant sur la somme de quatre cent millions de francs CFA (400.000.000) n'a jamais fait l'objet de poursuite parce qu'il avait en son temps et en pleine session été demandé à l'Assemblée nationale d'autoriser des poursuites contre sa personne. J'ai alors demandé au conseil de la partie civile qui entendait saisir le tribunal d'une action directe, de saisir le Parquet pour que l'Assemblée soit saisi par les animateurs de ce dernier. A ce jour n'ayant reçu aucune saisine du Parquet, l'Assemblée n'a pas eu à statuer sur ces poursuites et le député Yves Fofana peut confirmer qu'à ce jour il n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale. Monsieur le Président du groupe parlementaire PDCI, après la lecture de cette dernière correspondance, comme je l'avais déjà fait à l'occasion de la première, j'ai longuement lu et relu la Constitution de notre pays, pour y rechercher en vain les pouvoirs qu'elle confère personnellement au président de l'Assemblée nationale, pour mettre fin à des poursuites judiciaires engagées contre l'un quelconque des membres de l'Institution. Je n'ai à l'occasion de cette lecture et de toutes les autres auxquelles j'ai pu me livrer depuis l'adoption de cette Constitution, lu nulle part un pouvoir de ce type attribué à l'une quelconque des Institutions de ce pays.
J'ai lu et il est su que les actions qui sont menées dans le cadre des différents codes de procédures civile et pénale ne peuvent être interrompues que dans la limite de ce qui est prévu par ces textes.
Mais une lecture plus attentive et dégagée des pesanteurs malsaines de l'appréciation partisane eut pu vous permettre de noter qu'aux termes de la Constitution ivoirienne, l'Assemblée nationale et non son Président, a, seule en tant qu'Institution, le pouvoir de requérir la suspension seulement, soit de la détention, soit de la poursuite d'un député.
C'est bien ce qui résulte de l'article 68 de la Constitution que vous avez visé et cité sans le lire dans votre correspondance du 8 mars 2007 et dont le libellé est le suivant : "Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de l'Assemblée nationale sauf le cas de flagrant délit. Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu'avec l'autorisation du bureau de l'Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives. La détention ou la poursuite d'un député est suspendue si l'Assemblée nationale le requiert".
Or, pour arriver à requérir cette suspension, la réunion du bureau de l'Assemblée nationale est utile, ce qui a été déjà et attend de l'être encore si vous daigniez sortir des sentiers de la polémique inutile pour véritablement vous engager dans le respect des règles d'une Institution dont vous entendez matière pour échapper à la justice, sauf à penser que vous autres avez le seul souci de satisfaire votre ego et celui de militants qui s'interrogent sur le sérieux et les chances de succès de votre démarche. Dès que le bureau aura émis un avis et adhéré à votre souci, la Commission compétente de l'Institution sera saisie pour examiner l'affaire, puis sera convoquée une session plénière extraordinaire s'il y a lieu en vue d'examiner la question de la demande de suspension des poursuites entreprise contre Monsieur Kobenan Kouassi Adjoumani.
C'est le lieu de préciser qu'il faudra alors indiquer très clairement, pour quelle durée cette suspension est requise et a quelles fins, puisque vous aurez noté avec moi et surtout avec lucidité que l'Assemblée nationale ne requiert que la suspension des poursuites mais non leur interruption.
Sur ce point, j'ai l'assurance que loin des tumultes haineux que vous entendez développer sur ceux qui ne pensent pas comme vous, et après de vaines invectives, vous en viendrez, Monsieur le président du Groupe parlementaire avec les vôtres, à vous demander l'intérêt que vous aurez à obtenir la suspension seulement des poursuites entreprises contre Monsieur Kobenan Kouassi Adjoumani, puisqu'elles ne peuvent être interrompues et donc qu'elles ont vocation à reprendre lorsque la durée du délai de la suspension demandée aura expiré.
Si vous convenez qu'il faille demander la suspension des poursuites que vous ne manquerez pas de ne pas confondre avec l'arrêt des poursuites comme cela ressort par ignorance de vos écrits, alors produisez le dossier réclamé et instruisez le Bureau de l'Assemblée sur la durée de la suspension sollicitée ainsi que sur l'objet, afin de permettre l'examen de ce dossier.
Cela dit, il m'apparaît utile de vous faire observer que la question de fond ne se pose pas en termes de conflit entre l'Assemblée nationale ou même entre son Président et un député, mais bien entre celui-ci et la justice de son pays pour des faits dont il n'a pas encore été fait la preuve à l'Assemblée nationale, qu'ils ont été commis à l'occasion de l'exercice de fonctions parlementaires, ou pendant ou hors les sessions de notre Institution. C'est pourquoi, il importe de produire le dossier de cette affaire à vos collègues de l'Assemblée nationale. Ne croyez donc pas pouvoir vous en tirer à si bon compte sur le dos de l'Assemblée nationale ou de son président, en faisant médire sur le compte de ce dernier, pour couvrir vos propres négligences et autres défaillances, ce procès étant pendant devant les tribunaux depuis juillet 2006, soit depuis près de huit mois avant que vous n'en soyez informé "avec surprise" en mars 2007.
Vous remerciant de l'attention que vous porterez à ce qui précède, veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes salutations distinguées.

par le Pr Mamadou Koulibaly
* Président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire?

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