vendredi 6 avril 2007 par Nord-Sud

K. M., 45 ans, vit avec le virus du sida depuis au moins 9 ans. Lorsqu'elle a annoncé sa séropositivité à son époux, aujourd'hui décédé de la maladie, celui-ci l'a abandonnée avec leurs cinq enfants. Dans cette interview, l'infortunée nous parle de sa nouvelle vie.

Depuis quand savez-vous que vous êtes porteuse du virus du sida ?

Depuis neuf ans.

Comment l'avez-vous appris?

J'ai volontairement fait le dépistage et il était positif.

Quel était votre état de santé avant le test ?

Franchement, j'étais malade. J'avais des crises de paludisme à répétition. J'avais toujours de la fièvre. C'est ainsi qu'un jour, au vu des messages télévisés qui sensibilisaient au dépistage volontaire, j'ai décidé d'aller faire mon test pour voir si je n'avais pas le virus.

Comment avez-vous accueilli la nouvelle quand on vous a appris que vous avez le sida ?

J'ai eu un choc. J'ai vu tout de suite la mort. Je me suis dit que ma vie était terminée parce que je n'avais aucune information sur la maladie. Rentrée à la maison, j'ai informé mon époux le même jour. Il avait trois épouses et j'étais la deuxième. Quand je lui annoncé la nouvelle, au lieu de me soutenir, il m'a automatiquement abandonnée dans ma maison pour aller vivre avec les deux autres femmes.

Aviez-vous des enfants en ce moment ?

J'ai cinq enfants que j'ai eus avant d'apprendre que j'étais infectée. Heureusement aucun d'entre eux ne porte le virus.

Est-ce que vous les avez informés ?

Quand je suis arrivée à la maison et que les choses se sont mal passées avec mon mari, j'ai informé l'aînée qui avait 20 ans. Elle m'a demandé de n'informer personne d'autre. J'ai suivi son conseil.

Et vos parents ?

Mon père et ma mère sont décédés depuis longtemps. J'ai des petits frères, mais ils ne sont pas informés.

Avez-vous des nouvelles de votre ex-époux ?

Il est décédé. Ses deux épouses aussi. Bien qu'il m'ait rejetée, lorsqu'il était malade, je suis allée vers lui. Je lui ai dit qu'il pouvait être aussi infecté. Il a réfuté cela en me disant qu'il avait fait le test et que ce n'était pas le Vih. Il toussait beaucoup. Je lui ai demandé s'il n'avait pas la tuberculose. Je lui ai conseillé d'aller faire un bilan de santé. Il a répondu qu'il l'avait fait et qu'il n'avait pas la tuberculose. La maladie l'a emporté. Ses épouses et ses maîtresses sont aussi tombées malades et elles sont décédées. Je suis la seule survivante.

Vous connaissiez donc ses maîtresses ?

(Elle rit). Je connaissais les filles qui sortaient avec lui. C'était un homme d'affaires. Il avait des moyens financiers, donc beaucoup de filles lui faisaient la cour. Je connaissais des filles de notre quartier qui couchaient avec lui. Certaines d'entre elles ont eu le sida. L'une est décédée avant-hier (lundi 2 avril).

Qu'êtes-vous devenue après le départ de votre époux ?

Au moment où j'ai appris que je portais le virus, je faisais le commerce de pagne. Mais tout mon fonds de commerce a été emporté par la maladie. Chaque fois qu'on me disait qu'un médicament pouvait me guérir, je l'achetais. J'ai acheté des médicaments à 50.000 F, 100.000f F, voire 150.000FJ'ai vu la publicité d'un tradipraticien qui disait dans la presse qu'il pouvait guérir le sida. Je suis allée le voir. Il m'a pris 150.000 F en promettant de tuer le virus dans mon organisme. J'ai suivi son traitement, mais rien n'a changé. Au contraire ses médicaments m'on causé d'autres problèmes. Certains médicaments étaient administrés par les narines ou par les yeux. L'un de ses produits m'a donné des problèmes de vue. Aujourd'hui, je ne peux rien voir sans des lunettes. J'ai arrêté le commerce parce que je n'avais plus d'argent. Mon mari m'avait laissée dans une maison de trois pièces dont le loyer me revenait cher. J'ai dû déménager avec les enfants dans un logement de deux pièces. La plus grande d'entre eux a eu deux enfants avec son fiancé, ils vivent avec nous. Deux de mes enfants vont à l'école. Les autres se débrouillent dans de petites activités.

De quoi vivez-vous ?

Je vends des jus de gingembre et du bissap (fleur d'oseille). Malheureusement mon refrigidaire est en panne depuis un moment. Je fais aussi du bénévolat au sein de l'association Femmes actives de Côte d'Ivoire (Fac-ci). Nous sommes dans l'enceinte de l'hôpital de Koumassi. Lorsque des femmes enceintes sont dépistées positives, elles sont orientées vers nous et nous leur prodiguons des conseils.

Combien de femmes recevez-vous par jour ?

Certains jours, nous recevons trois femmes. Parfois, elles sont quatre. Dans le seul mois de mars, nous avons reçu 53 femmes séropositives.

A quels résultats arrivez-vous avec elles?

Nous avons aidé beaucoup de femmes à surmonter leur situation. Vous savez, les femmes subissent de grands chocs quand elles apprennent qu'elles portent le virus. Si vous étiez venue quelques minutes plus tôt aujourd'hui, (Ndrl : c'était lundi 2 avril à l'hôpital général de Koumassi) vous auriez trouvé sur place une femme enceinte en larmes. Elle est venue en consultation prénatale. Elle a fait le test et elle a appris qu'elle était séropositive. Nous avons réussi à lui remonter le moral. Elle est rentrée à la maison. Nous faisons aussi de la sensibilisation. Nous invitons les gens au dépistage volontaire. Je suis même allée avec d'autres membres de l'association vers des anciennes amantes de mon mari qui sont malades. Mais certaines négligent nos conseils et meurent de la maladie.

Que pensez-vous des ONG qui interviennent dans le domaine de la lutte contre le Vih/Sida ?

C'est une bonne chose tant que cela vise à aider les malades à mieux vivre. Il faut surtout aider les femmes infectées à éviter de contaminer leurs enfants par ignorance. Quand une femme enceinte est informée de sa séropositivité, elle peut prendre des médicaments comme la Nivérapine pour réduire le risque de contamination de son enfant. Il est vrai que certaines Ong ne visent que des intérêts matériels, mais ce n'est pas le cas chez nous.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre activité à l'Ong ?

Il nous manque des moyens suffisants pour soutenir les femmes que nous recevons. Elles viennent nous exposer leurs problèmes, mais nous n'avons pas les moyens de les résoudre. Le problème le plus récurent est celui des femmes qui sont chassées de leurs foyers parce qu'elles sont séropositives. Nous voulons un local pour pouvoir les loger en entendant de faire des démarches auprès de leurs familles. Nous n'avons qu'un petit bureau. Nous demandons à l'Etat de nous aider à avoir un siège plus grand pour pouvoir héberger les femmes rejetées. Nous avons aussi besoin de lait pour les nouveau-nés. Lorsque la femme quitte la maison sans son bébé, il faut du lait à la personne qui veille sur l'enfant. Un nouveau-né ne doit boire que du lait. Nous demandons aux époux de soutenir leurs femmes et de venir eux aussi faire le test. Parce que jusqu'à présent ils sont peu nombreux à le faire. Ce sont les femmes qui viennent et qui vont informer leurs maris. Quand les hommes viennent se faire dépister et qu'ils sont séropositifs, nous leur demandons d'appeler leurs épouses pour les en informer. Très souvent, ils refusent et promettent de le faire eux-mêmes une fois arrivés à la maison. Mais ils ne le font pas. Souvent, c'est le couple qui vient pour le dépistage. L'homme refuse que son résultat soit communiqué en présence de son épouse. Même quand il est déclaré séropositif, il ne le dit pas à sa femme. A la maison, il va continuer à la surinfecter parce qu'il ne va pas utiliser de préservatifs lors des rapports sexuels.

Quand vous avez appris votre sérologie, avez-vous pensé que vous étiez désormais différente des autres, où avez-vous continué à vous considérer comme une personne ordinaire?

Au début je croyais que j'étais une personne différente. Depuis le jour où des membres de l'association sont venus vers moi et que j'ai adhéré à la structure, j'ai commencé à considérer la maladie comme un mal de tête ordinaire. Je me suis dit que si on m'avait dit à l'hôpital que j'avais la migraine, un mal de ventre ou tout autre maladie, j'aurais essayé de soigner ce mal. Voilà comment j'ai pu me remonter le moral pour vivre une vie ordinaire. Maintenant, ma sérologie ne me dit absolument rien.

Est-ce que vos moyens vous permettent d'acheter facilement les médicaments ?

Pour les médicaments, il n'y a pas assez de problème. Le traitement me revient à 1.000F par mois. Là où il y a problème, c'est au niveau du bilan de santé qui coûte plus cher. Parfois je ne respecte pas mes rendez-vous faute de moyens suffisants.

Combien coûte votre bilan?

Il n'y a pas de montant fixe. Le prix varie en fonction du nombre d'examens à subir.

Le non respect des rendez-vous n'a-t-il pas des conséquences sur votre santé ?

Si. Parfois je sens un affaiblissement, mais je n'ai pas d'autres choix. Je suis obligée d'attendre d'avoir de l'argent. Quand tu ne peux pas t'offrir les médicaments, la présidente de l'association, Mme Semi Lou, t'aide à les acheter. Il faut ajouter que parfois des femmes séropositives prennent les Anti rétroviraux (Arv) sans s'alimenter durant toute une journée, faute de moyens. Pourtant, ce sont des produits chimiques. Quand on les avale et qu'on ne mange pas, ça peut rendre malade au lieu de guérir.

Avez-vous des projets ?

J'ai beaucoup de projets. Aujourd'hui, si j'ai un financement, je vais reprendre mon commerce de pagne. Je souhaite avoir des moyens pour mieux m'occuper de moi-même et pour pouvoir financer mes soins, surtout les bilans de santé.

Interview réalisée par Cissé Sindou

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