samedi 7 avril 2007 par Le Nouveau Réveil

Un virage sans clignotant d'ennemis jurés qui se retrouvent comme par enchantement dans le même véhicule. Voilà de quoi faire piquer une crise d'urticaire à des censeurs ahuris. Depuis la signature de l'accord de Ouaga, la presse et les médias ivoiriens cherchent leur ligne.
Le tout nouveau Premier ministre Soro Guillaume a été reçu en audience hier, au palais de la présidence au Plateau (). En effet, c'est au cours du dialogue direct que le Président Gbagbo a proposé le poste de Premier ministre au chef visible de la rébellion ". Cet article lu hier dans Notre Voie est la preuve par quatre que les choses ont beaucoup bougé dans la presse et les médias ivoiriens. Dans ce texte concis de moins de 1500 caractères, le journaliste a cité Guillaume Soro, en le désignant au moins cinq fois par le terme "Premier ministre". En outre, on sent la gêne chez l'auteur de l'article par l'emploi de l'adjectif "visible" pour diluer l'expression chef de la rébellion. Et aussi pour ne pas dire "chef rebelle" ou le "rebelle (premier) ministre", comme on a pu le lire dans certaines publications dans un passé encore récent. Le cas de Notre Voie est certes symptomatique de la nouvelle chape de plomb (après la razzia patriotique de novembre 2004 qui a réduit au silence 8 journaux ivoiriens supposés ou réellement proches de l'opposition politique) qui s'est abattue sur l'orientation éditoriale de la presse et des médias ivoiriens. Cela remonte au lendemain de la signature de l'accord de Ouagadougou par les deux principaux belligérants ivoiriens que sont le chef de l'Etat Laurent Gbagbo et le chef de la rébellion Guillaume Soro. Cas pratiques. Dans Notre Voie (journal officiel du FPI), le Courrier d'Abidjan, Le Temps, bref, les journaux proches du camp présidentiel, le changement de ligne a été quasiment radical. Les locutions et autres adjectifs assassins pour présenter les rebelles sous des jours noirs ont (presque) disparu. Souvent, comme on a pu le lire, certains écrits ont même paru verser dans ce qu'ils appelaient, il n'y a pas encore longtemps, " l'apologie de la rébellion ". Ainsi, a-t-on pu lire en manchette d'un journal proche des milieux patriotiques " les patriotes du nord ". Cet euphémisme a fait sourire plus d'un consommateur de journaux.
A l'image des journaux proches du FPI, ceux proches de l'opposition armée et politique, cherchent eux aussi leur marque. La guerre des annonces qui fait rage entre Nord-Sud Quotidien et 24 Heures en est une réelle illustration. Certains quotidiens comme Nord Sud ont joué la carte Guillaume Soro à fond et cela dès le début des négociations inter-ivoiriennes de Ouagadougou. D'autres ont joué cette carte timidement (Le Patriote) ou avec prudence (Le Front et 24 Heures). Après la prise du pouvoir à la primature par Guillaume Soro, il se pose un problème d'orientation éditoriale à ces journaux peu ou prou proches du RDR d'Alassane Ouattara. Faut-il soutenir le nouveau tandem, donc ménager Laurent Gbagbo ou continuer dans la dénonciation des dérives et des crimes de la refondation et donc courir le risque de fragiliser le nouveau processus de paix, donc le nouveau tandem ? Pour ainsi dire, certains de ces journaux se trouvent dans la position exacte de "L'Evénement", journal proche de Charles Banny, il y a 15 mois quand ce dernier accédait à la primature. Aujourd'hui, le confrère cherche lui aussi sa marque éditoriale. Entre poursuite de la ligne originelle et opposition directe à un tandem qui a commis le crime du parricide, L'Evènement risque de se retrouver dans la position du journal "Le Nouveau Réveil" peu avant la nomination de Charles Banny. Le vent de février post accord de Ouaga a d'ailleurs ébranlé ce journal qui se réclame de la philosophie houphouétienne. " Le journal de choix des Ivoiriens " a en effet joué à fond la carte du maintien de l'ancien Premier ministre et n'a pas encore, semble-t-il, fait son deuil de la déconvenue de ce dernier. Entre un soutien plus affirmé à Guillaume Soro et le choix d'un arbitrage strict, "Le Nouveau Réveil" se cherche quelque peu pour l'heure. Une rentrée éditoriale devrait venir préciser les choses. Le quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin n'est pas en reste. Après avoir "allumé" sans ménagement la rébellion et Guillaume Soro au point où certains observateurs n'avaient pas hésité à dire qu'il était devenu plus royaliste que le roi, ce journal s'est retrouvé du jour au lendemain, en train d'exalter, à tout le moins, de relater les récents hauts faits du nouveau Premier ministre. Impensable, il y a encore quelques mois. Le virage à 180 degrés est venu de la RTI où règne sans brio un Brou Amessan dont les observations exaltées pour diaboliser la rébellion et la France, étaient jusque-là applaudies dans les fora des miliciens et des "patriotes". L'image et la voix censurées à la grande joie des boutefeux du régime au pouvoir, des rebelles, apparaissent et sont désormais entendus en ouverture de journal, tant à la télé qu'à la radio.
Les temps ont changé et avec eux les médias et la presse qui, parce que n'ayant pas été avertis par les feux de signalisation du véhicule commun des deux co-pilotes belligérants ; se cherchent comme des agents de l'ordre floués par un automobiliste peu respectueux du code de la route. Les passagers du véhicule tout comme ceux qui attendent à la gare, sont quant à eux totalement perdus. C'est le cas précis des lecteurs ivoiriens.

André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr

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