samedi 7 avril 2007 par Fraternité Matin

Vendredi 30 et samedi 31 mars, nous étions à Konankokorékro, village natal de la célèbre
chansonnière Allah Thérèse, dans le département de Toumodi. Interview à bâtons rompus à l'aide d'un interprète.

Comment Allah Thérèse et son mari et compagnon de scène N'Goran Laloi se portent-ils?
Actuellement, ça ne va pas. Nous ne nous portons pas bien.

Qu'est-ce qui ne va pas?
Mon mari a été gravement malade. Il a même été paralysé de deux membres. Cela nous a beaucoup perturbés. C'est pourquoi je dis que ça ne va pas bien chez nous.

C'est quelle maladie qui a causé la paralysie ?
Nous étions là un jour et mon mari a eu un malaise. C'est ainsi que tout a commencé.

Combien de temps la maladie a-t-elle duré ? Aujourd'hui, il se porte apparemment bien.
Il a été malade pendant six mois. Cela nous a beaucoup fatigués.

Et comment l'avez-vous soigné?
Nous l'avons traité avec des médicaments traditionnels, ce qu'on appelle communément indigénat.

Il y a l'âge qui pèse et qui peut jouer sur la santé. Sinon nous, nous l'avons trouvé bien portant même s'il est un peu fatigué. Peut-on affirmer qu'il est guéri?
Ces jours-ci, il se porte bien. C'est pourquoi vous l'avez trouvé sur pieds.

La maladie fait-elle qu'on ne vous voit plus trop sur scène?
C'est cela parce que sans lui, je ne peux pas me produire toute seule. Et puisque je m'occupais de ses soins, il est évident que je ne pouvais pas m'éloigner de lui pour aller me produire ailleurs. Par la grâce de Dieu, nous reprendrons bientôt la scène.

Quand vous ne chantez pas comme c'est le cas actuellement, de quoi vivez-vous?
C'est vrai que la chanson nous fait vivre. Mais avant de venir à la chanson et parallèlement à cela, nous avons des champs d'igname, de cacao, etc. c'est de cela que nous vivons en dehors de la chanson.

Vous aviez des champs avant de venir à la chanson. Comment ce passage du champ à la chanson s'est-il opéré?
Je n'ai pas eu d'enfant. Je me suis dit que si je ne chante pas, le jour où je ne serai plus de ce monde, personne ne parlera de moi. C'est ainsi que je suis venue à la chanson et Dieu merci, ça m'a réussi. C'est une façon pour moi de m'immortaliser afin que le jour où je ne serai plus, on dise:
Voilà ce que Allah Thérèse a laissé

Vous pouviez faire autre chose. Pourquoi c'est la chanson que vous avez choisie ? Et si vous n'aviez pas une belle voix, qu'alliez-vous faire?
Si, par malheur, je ne savais pas chanter, alors mon nom allait disparaître car c'est la chose que je sais faire le mieux.

Quels sont les champs que vous avez et qui vous rapportent quelque chose ?
Nous avons des champs de cacao, d'igname, de manioc, de banane.

A l'heure actuelle, entre les champs et la chanson, qu'est-ce qui vous a apporté le plus de fortune?
C'est la chanson qui devait m'apporter plus de fortune. Mais en tant qu'analphabète, j'ai été grugée par ceux qui m'encadraient et qui étaient entre Houphouet-Boigny et moi.

On a vu Allah à toutes les grandes cérémonies avec Houphouet-Boigny. Peut-on dire que le Président vous a donné beaucoup d'argent ?
Houphouët-Boigny était un père, un grand-père pour moi. Je reconnais qu'il m'a donné beaucoup d'argent. Mais ce sont les intermédiaires entre lui et moi qui ont tout pris. C'est par leur faute que je n'ai rien reçu. Ils ont tout gardé par devers eux.

De tout ce qu'on vous a donné, quel est le plus gros montant que vous avez reçu?
Ai-je vraiment reçu quelque chose ? Je n'ai rien reçu.

Beaucoup de ceux qui vous remettaient de l'argent de la part d'Houphouet-Boigny vivent encore. Si vous ne dites pas la vérité, ceux-là feront des démentis.
Je n'ai reçu que 8 millions

Et quel est le plus petit montant que vous avez reçu?
1 million. On nous donne ce montant avant chaque prestation. Sinon s'agissant des 8 millions, je voudrais préciser que suite au décès de ma mère en 1987, je suis allée en informer le Président Houphouet-Boigny. Il m'a alors dit que je ne suis pas reconnaissante car quand je suis allée lui présenter une de mes ?uvres, il m'a donné 8 millions. Et sans même lui avoir dit un mot de remerciements pour cela, je reviens lui parler encore de la mort de ma mère.
C'est en ce moment-là que je lui ai dit que je n'ai jamais reçu 8 millions. Il a, alors, appelé celui à qui il a remis les 8 millions pour moi et qui ne me les a pas remis. Celui-ci a fait savoir qu'il a dépensé 4 des 8 millions et qu'il lui reste les 4 autres millions. Ce sont ces 4 millions que le Président Houphouet-Boigny a complétés à 08 pour me les remettre.

Connaissez- vous tous ces intermédiaires coupeurs de route?
Je ne peux pas citer de nom. L'essentiel pour moi était de répondre aux invitations pour aller chanter. Et dès que je finissais, je rentrais chez moi. Je me contentais de me produire.

C'est vrai que les gens vous ont grugée. Mais êtes-vous contente, satisfaite de l'utilisation que vous faites du peu que vous avez reçu?
Comment vais-je faire ? Je trouvais suffisant le peu qu'on me remettait. Et puisque ce n'était pas beaucoup, je n'ai pu rien faire avec.

Aviez-vous exprimé à Houphouët-Boigny des besoins précis à réaliser?
Je suis allée voir Houphouet en 1993, peu avant son départ pour la France pour ses soins. Je lui ai dit que je n'ai ni maison ni moyen de déplacement. Il m'a dit qu'il va en France et qu'à son retour, on allait voir. La suite, on la connaît. Houphouet est revenu presque mort.

Pourquoi avez-vous attendu si longtemps avant de lui exprimer vos besoins ?
A l'époque, je n'aimais pas fréquenter les hautes personnalités. J'avais peur de les approcher. Il n'y avait personne pour m'aider à les approcher.

Comment votre rencontre avec Houphouet s'est-elle faite pour que vous deveniez sa chansonnière préférée?
J'étais invitée à une prestation à Abidjan et c'est là qu'il m'a vue.

Et votre mari, est-ce dans la chanson que vous vous êtes rencontrés ou vous connaissiez-vous avant?
Moi, mon village est Gbofia toujours à Toumodi. C'est la chanson qui nous a rapprochés. Lui, il était un grand chanteur dans son village Konankokorékro et moi, une grande chanteuse à Gbofia. Lors d'un décès dans mon village, il est allé et nous nous sommes rencontrés lors des cérémonies funéraires. Nous nous sommes mariés très jeunes. N'Goran était le lead vocal d'une danse qu'on appelait Agbirô. Cette même danse existait chez nous et j'étais le lead vocal aussi. C'est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Nous avons mené une vie conjugale normale avant de décider plus tard de chanter.

Depuis combien d'années êtes-vous ensemble ?
45 ans.

Depuis combien de temps avez-vous commencé à chanter avec l'accordéon ?
32 ans.

Comment votre mari a-t-il pris le fait que vous n'ayez pas d'enfant?
Mon mari aurait pu me divorcer parce que je ne fais pas d'enfant. Mais il a préféré rester avec moi-même s'il est allé faire des enfants en dehors du foyer ; ce qui ne me gêne pas du tout. Il en a fait 10.

N'êtes-vous pas jalouse?
Je n'ai jamais fait de scène de jalousie.

Quel est le plus beau moment de votre vie sur les 32 ans de chanson?
Chaque fois que je dois me produire, c'est un moment de joie pour moi. Ça me fait oublier un tant soit peu mes soucis.

Maintenant que votre mari se porte bien, si le Président Gbagbo vous fait appel pour chanter comme le faisait Houphouet, allez-vous accepter?
C'est vrai que chaque chose se fait en son temps. Avant, je chantais pour Houphouet. Aujourd'hui, c'est un autre Président qui est là. Il est le Président de toute la Côte d'Ivoire. Je ne peux donc pas refuser de chanter pour lui parce qu'il n'est pas Houphouet.
Nous, les chanteurs, nous ne supportons personne. Nous nous produisons pour tout le monde.
D'ailleurs, j'ai déjà chanté en présence du Président Gbagbo. Nous ne faisons pas de choix. Tous les Présidents sont nos chefs. S'ils ont besoin de moi, je vais chanter pour eux.

Qu'avez-vous chanté pour le Président Gbagbo?
Cette chanson s'intitule : l'intelligence ne s'achète pas. C'est Dieu qui donne.

Quel est l'état de vos relations avec vos parents du village?
Mes parents du village étaient heureux de me voir chanter. Je peux affirmer que ceux qui ne m'admiraient pas n'étaient pas nombreux.

Les villageois ne vous reprochent-ils pas de n'avoir rien fait pour le village alors que vous auriez pu faire beaucoup?
Ils ne peuvent rien me reprocher parce que moi-même je n'ai rien eu. Si j'avais amassé beaucoup de biens et que je n'avais pas voulu les aider, ils m'auraient traitée alors de méchante. Mais il se trouve que moi-même je suis démunie. Si j'avais eu beaucoup d'argent, j'aurais réalisé des choses pour le village.

Les populations vous croient-elles quand vous dites que vous n'avez rien eu?
Les gens me croient.

Certains pensent que vous avez eu beaucoup d'argent et que vous avez dilapidé.
Ils peuvent le penser. Mais pas tous. Ceux qui pensent ainsi sont libres de le faire.

Comment trouvez-vous la politique de Gbagbo par rapport à celle d'Houphouet ? Tout à l'heure, vous avez parlé des deux Présidents.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, je chante pour tous les Présidents. Mais pour le moment, je ne peux pas juger la politique du Président actuel puisque je ne le connais pas bien, surtout que je suis analphabète. L'essentiel pour moi c'est que le Président qui est là soit notre Président à tous.
Je l'ai déjà dit, nous les artistes, n'avons pas de préférence au niveau des hommes politiques. L'essentiel, c'est qu'il travaille bien pour le pays.

Le Président Gbagbo vous a-t-il déjà donné quelque chose?
Depuis l'arrivée du Président Gbagbo, j'ai été invitée une seule fois. Mais comme je l'ai dit tantôt, les intermédiaires font souvent obstacle. J'ai reçu 500 mille francs de lui.

Quel regard portez-vous sur la crise que traverse la Côte d'Ivoire depuis 5 ans?
Mon seul souhait est que la crise prenne fin pour qu'on ait la paix.

Si Allah Thérèse doit reprendre la chanson, que fera-t-elle pour éviter que tout ce qui lui est déjà arrivé n'arrive plus?
Si je devais reprendre la scène, je chercherais un manager honnête pour m'encadrer et m'aider à avoir de l'argent. Un bon manager et non un bon mangeur.

Au niveau du Burida, percevez-vous quelque chose pour les 4 ?uvres mises sur le marché?
Je reçois quelques droits.

Généralement les femmes de renommée cherchent à dominer leurs conjoints. Est-ce le cas avec Allah Thérèse ? (Question posée à son mari N'Goran Laloi)
Si elle essayait, je n'allais pas le lui permettre (rires).

Quand vous apparaissez à la télévision, on crie: la vieille. Mais en même temps on ajoute qu'elle ne vieillit pas. Quel est votre secret?
C'est l'?uvre de Dieu.

Quand vous avez appris que Fraternité Matin arrivait pour vous interviewer, quels sentiments aviez-vous eus?
Sincèrement, j'étais très heureuse d'apprendre que Fraternité Matin venait me voir parce que c'est grâce à vous qu'on sait qu'untel existe ou qu'untel fait telle chose. J'ai même dansé quand on m'a annoncé votre arrivée.

Que voulez-vous qu'on retienne de notre passage chez vous?
Quel message lancez-vous à tout le monde?
Fraternité Matin m'a toujours soutenue. Mais depuis un moment, la maladie de mon mari nous a éloignés quelque peu de la scène. Certains ont même annoncé notre mort. Grâce à Fraternité Matin, ceux-là sauront que nous sommes en vie. Je demande au Président Gbagbo de me décorer et de m'aider à organiser l'anniversaire de ma chanson. Car je n'ai jamais été décorée et je n'ai jamais organisé d'anniversaire. Ces deux choses me tiennent à c?ur.

Interview réalisée par Abel Doualy

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