samedi 7 avril 2007 par Notre Voie

Ce qui suit est un conte déjà dit dans ces colonnes miennes sous le titre : Qui a fait la faute en boira la sauce...? (cf. Dire bien du 04/11/06).
Les contes sont et demeurent des enseignements sur la vie, ses retournements, ses jeux et enjeux.
Et quand on tient un conte, on le fait servir quand l'occasion l'exige. Ainsi tout conte servi devient explication (cf. Henri Pourrat, Le Trésor des contes?, Gallimard, Paris, 1981). Sur demande pressante de certains lecteurs miens, je reprends ledit conte avec quelques modifications qui ont profil de détails de couleur d'actualité. Et puis, au fond, peut-on redire un conte sans modifications ?
1 ? Tout peut grossir ou enfler sur un être humain, sauf ses dents
Il était autrefois un homme qui enflait de jour en jour à cause de ses dents qui étaient très longues, métaphore locale pour quelqu'un qui a de grosses et démesurées ambitions?. Cela ne se voyait pas souvent, mais cela se vit une année de crise dans une contrée appelée Kônôwari? (ventre d'argent). L'homme en question qui fut appelé pour sortir sa contrée natale de la crise absurde qui la frappait, était un gros demi-monsieur de campagne savanicole, lourdaud padaud comme le b?uf. Pas fin du tout, il était plutôt pointu comme le cul d'une barrique, disaient les conteurs de la contrée. Il aimait se vanter, il se mêlait de tout et, selon les mauvaises langues, il lorgnait toutes les filles, jeunes, jolies, laides, minces, en chair et tout... la beauté de l'homme se trouvait dans sa poche. Entre nous, il n'avait pas bonne tête, ce qui ne veut pas dire forcément tête de turc ou tête de tueur (l'appellation est présente dans notre actualité), mais il avait bon talon et aimait la bonne chair. Ne dit-on pas que les apparences sont trompeuses et que on est on est ce qu'on est ? Pas grand du tout (au propre comme au figuré), la bedaine étouffante de gens qui, même rassasiés, en demandent encore, la calvitie définitivement installée, des cernes enflés autour des yeux qui montraient que notre homme n'était pas de jeune jeunesse. Sa forme (comme son fond) était si inachevée, voire très accidentée qu'elle donnait du vertige et du fil à retordre à tous les couturiers de la contrée et d'ailleurs. Mais, on va faire comment !?, se disaient-ils entre eux. Preuve que l'argent n'a ni odeur ni état d'âme. Dans le fond, il était de mauvais poil et rien ne lui donnait satisfaction excepté sa personne. Mesquin, grognon, narcissique et rancunier il ne tenait une porte pour fermée que s'il l'avait fermée de ses mains, une chose pour faite que s'il avait la main dedans, une affaire de suivie que si elle était suivie par une commission créée par ses soins... Commission contre ristournes. Qui est fou ?
2 ? Les gens oublient vite d'où ils viennent, ce qui rend le monde malheureux
Dans le même sillon, il semble aussi qu'il n'a hélas pas eu de jeunesse, à cause de son métier qui consistait à compter l'argent des autres. D'abord celui des gens de sa contrée natale et après (promotion oblige) celui de la caisse commune (ou centrale) des contrées voisines qui avaient mis ensemble leurs épargnes et leurs destins économiques. Et comme il faisait bien le travail et le contentement de ses mandants financiers, ces derniers le payèrent autant en mots élogieux qu'en beaucoup d'espèces sonnantes et trébuchantes.
De quoi donner la grosse tête à quelqu'un qui l'avait déjà pleine d'arrogance, d'insolence et même de mépris (pour tout ce qui est pauvre et pour tout ce qui n'est pas de son ethnie). Ah ! les gens oublient vite non seulement d'où ils viennent, mais aussi ils oublient Dieu, le Donateur sans limites qui les a faits et les a élevés !!! C'est une grave faute et, tôt ou tard, on en boit la sauce C'est donc ainsi que notre homme devint très riche. Une fortune qui le mit à l'abri de besoins matériels. Pour des temps et des temps. Contrairement aux fonctionnaires nécessiteux de sa contrée, lui ne savait pas ce qu'on appelle fin de mois difficile?. Cela se voyait sur son reluisant embonpoint et sa difficulté à fermer sa veste. Quelle histoire pour nos enfants !
3 ? Après l'argent la politique qui, elle aussi, rend fou et gourmand
Lecteurs miens, ce n'est pas tout. La retraite venue et une fois parmi les siens dans la contrée, l'on s'attendait à le voir dans une nouvelle mission, celle d'investir par exemple, comme le font les musulmans avec la zakkat (aumône, charité), dans les ?uvres de bienfaisance ou dans la construction de lieux de cultes pour dire sa reconnaissance à Dieu. Que nenni ! Il semble que l'argent acquis d'une certaine façon donne non pas la soif de Dieu, mais la soif du pouvoir politique qui assèche le gosier et déshydrate les aventuriers et autres imposteurs.
On l'avait compris. Depuis son enfance, entre l'argent et Dieu, il avait choisi le premier, le second n'étant pas, selon lui, de ce bas monde où tout est concret ou affaire de concrétude. Aussitôt installé dans le champ politique, ses mandants lui servirent un breuvage, avec l'illusion que ledit breuvage, une fois bu, ingurgité, avait de quoi le régénérer comme un gladiateur prêt à affronter tout sur son passage, y compris le Chef de contrée, l'élu heureux du peuple, qui l'avait nommé comme second. Mais lui était à ses mandants ce que le sot est au malin. Pour qui connaît la culture de la contrée, on dit que le malin est l'esclave du sot. Normal, le premier supporte toujours les conséquences des sottises du second. Que Dieu, par ces temps incertains, nous garde des sots et des malins. Amina.
De ses vantardises, il fit à bas bruit ou intérieurement, je ne sais quel pari : je veux tous les pouvoirs et je n'aurai de repos que si je les ai tous, car je ne peux être le second de qui que ce soit ?. Ce qui le perdra...Dieu ne dormant pas.
Le Chef de la contrée en crise qui, comme une girafe debout voyait très loin et qui par expérience savait que quand la bûche dit qu'elle va nager, il faut la laisser aller. Quand l'eau l'aura éteinte, elle comprendra elle-même que l'eau n'est pas faite pour elle?, le Chef de la contrée, disais-je, lui donna tout ce qu'il voulait pour réussir sa mission de paix. Avec des moyens autant propres que nécessaires, autant larges qu'élargis, il fut mis à l'épreuve pour un temps déterminé. En entreprise, on aurait parlé de contrat à durée déterminée? . Que pensez-vous qu'il fit avec tous ces pouvoirs ? Rond, il tourna en rond et, au lieu d'aller à l'essentiel, il nomma ministres, seigneurs, petits et grands courtisans. Et comme nul n'est ennemi de soi, il nomma aussi parents, beaux-parents, copains et coquins de la même souche tribale multiséculaire que lui.
Même s'il montra vite ses limites pour les tâches à lui confiées, en revanche, il se révéla grand bavard, envieux, cupide, dépensier et fort déloyal. Pour mener le peuple de la contrée en bateau, après l'insuccès du vélo (kpanngô) et du train (keteke), d'une part, il essaya de faire ce qu'on ne lui a jamais demandé (par exemple nettoyer la plus grande ville de la contrée de ses ordures ménagères), d'autre part, il n'essaya jamais de faire ce qu'on lui demandait (par exemple désarmer les crapules et réunifier la contrée coupée en plusieurs morceaux par la crise) A quoi pouvait-on comparer un tel homme ? Forcément à un cheval qui a la tête là où les autres ont la queue. Or dans une des cultures du centre de la contrée, on dit ceci : Bê flê wo kpango, o fata a kê bê flê wo aflumu?. Littéralement, ce proverbe signifie : si tu es un cheval, il ne faut pas qu'on t'appelle âne?. Autrement dit il faut bien faire ce qu'on attend du cheval. Se comportant comme un âne, animal têtu, notre homme prit pour habitude de mettre le Chef de la contrée devant le fait accompli, avec des passages en force. De déloyauté en déloyauté, de ruse en ruse et de fautes en fautes, l'homme a fini par en boire la sauce. Tristement et dans l'humiliation. Moralité ? Autant tout se paie ici-bas, autant tout a une fin, sauf le saucisson qui en a deux (dixit Roche Sophie). Et notre monde va de plus en plus mal parce que des gens se prennent pour des saucissons... Surtout quand ils vont en mission avec des arrière-pensées. Arrêtons-nous là pour aujourd'hui. Il est une certaine heure. Le coq a chanté, et voilà le conte achevé. Bon week-end de Pâques à toutes et à tous.
Nota bene : Toute ressemblance avec personnes connues n'est que pure coïncidence.
Gwassou :
Fin de rêve de quelqu'un qui voulait être ce qu'il ne peut être?.
Dans une de ses nouvelles, le tunisien Ahmed Bouzfour nous apprend que le rêve est une sorte de schizophrénie?. Il déchire l'être du rêveur entre d'une part l'identité et la liberté : c'est un fantasme mental qui transgresse la réalité, car le rêveur ressemble à l'homme qui dépose une plainte contre ses deux épouses en prétendant qu'elles sont jalouses, que chacune le pousse à divorcer d'avec l'autre, qu'elles le nourrissent de potion empoisonnée, qui explique une digestion difficile et de terribles maux d'estomac. S'il venait à mourir, elles en seraient les seules responsables. Après enquête, on découvre que l'homme est célibataire et que les deux femmes en question sont respectivement l'épouse de son père et l'épouse de son voisin... Toute chose qui me fait penser à cet homme politique sans formation politique (donc politiquement célibataire) qui avait à gérer les intérêts de la communauté internationale (une épouse) et ceux de sa patrie (l'autre épouse). Et tout cela concomitamment. Un adverbe glouton qui perd toujours celui qui en abuse.

Koné Dramane

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023