mardi 10 avril 2007 par Le Matin d'Abidjan

Comment la transformation du bois se fait-elle ? L'on croirait que tout est aussi simple. Que non! La production du charbon est tout un métier, un art. Enquête.

Comment s'obtient le charbon de bois ? C'est la question que nous avons posée à quelques personnes, à Abidjan, dans le cadre de notre enquête sur la production de ce combustible. Dans l'ensemble, les réponses sont du genre : " Je n'en sais pas grand'chose " ou " on met le feu au bois sec, mais je ne sais pas comment l'on procède par la suite pour éviter que tout ce bois se transforme en cendre ". Ou encore : " On rassemble du bois sec. On y met du feu, mais il paraît que les producteurs se servent d'un produit liquide qu'ils déversent sur le bois pour ne pas qu'il se consume, totalement ". Le constat qui se dégage est clair. Les populations ne s'intéressent pas suffisamment à la production du charbon de bois. Elles consomment un produit dont elles semblent ignorer, pour beaucoup, le mécanisme de production. Le charbon de bois ne s'obtient pas aussi facilement que l'on pourrait l'imaginer. Il a besoin d'un travail méticuleux, particulièrement attentif et soigné. C'est en tout cas le constat que nous avons fait. Nous avons mené l'en quête sur un site de production, dans un campement non loin d'Abidjan, pour donner une idée beaucoup plus nette à tous sur la question. Plusieurs journées passées en compagnie des producteurs ont permis de cerner tout le circuit de la fabrication du charbon, à savoir de l'abattage du bois à la commercialisation en passant par la production. Nous avons suivi toutes ces différentes étapes. Notre principal hôte, M. Seydou Sangaré, exerce le métier depuis 1978. Il est assisté depuis quelques années de M. Claude Kouassi, un bachelier, qui a dû se tourner vers ce secteur, à la faveur de la crise socio politique. Les deux producteurs n'ont pas de peine à s'ouvrir à notre équipe, même s'ils ont des appréhensions et une certaine méfiance au premier contact. Nous apprenons avec eux qu'il faudra attendre pratiquement un mois, 28 jours précisément, pour obtenir du bon charbon. Les essences les plus utilisées sont l'iroko, l'avocatier et le colatier. Ces espèces sont beaucoup plus dures que les autres variétés et produisent du bon charbon, note-t-on. Le bois sec ne s'obtenant pas facilement, les producteurs recourent donc généralement au bois frais qu'ils découpent. Ils disposent par la suite les buches, les unes sur les autres. Au fur et à mesure que le tas monte, la taille des morceaux de bois diminue, de sorte à obtenir une forme de pyramide. Une fois cette phase terminée, le bois, ainsi entassé, est recouvert d'herbes et de feuilles fraîches, puis de sable. Aucune ouverture n'est tolérée. Aucun bois n'est visible donc. Tout est enfoui dans le sable. Pour les non initiés on penserait à une bute géante ou à une élévation quelconque de terre. Dans leur jargon, les producteurs parlent de four. Un four hermétiquement fermé, à l'intérieur duquel sont disposés, de façon ordonnée, des morceaux de bois frais ou secs. Aucune entrée d'air n'est possible. " C'est ainsi que la fabrication du charbon sera possible. Le charbon ne peut être obtenu s'il n'y a pas de terre ", confie M. Kouassi, sous le contrôle du vieux Seydou. Mais il faudra nécessairement mettre le feu au four. C'est seulement à ce moment que le producteur procède à une ouverture tout à fait au sommet, où sont placées des brindilles de bois pour faciliter l'allumage du contenu du four. Une fois l'on est sûr que les moceaux de bois au sommet ont pris feu, alors le producteur referme aussitôt son four, toujours à l'aide d'herbes ou de feuilles fraîches recouvertes de terre. Le feu couve donc à l'intérieur du four. Le bois brûle, mais aucune fumée ni flamme n'est visible à l'extérieur du four. C'est la chaleur condensée à l'intérieur du four qui va faire sécher le bois frais qui subit une combustion lente et incomplète pour donner le charbon. Les premiers morceaux qui brûlent sont ceux placés au dessus. Le feu s'éteint de lui-même au fur et à mesure que le bois se transforme en charbon. L'opération suivra ainsi son cours jusqu'à ce que tous les morceaux de bois, dans le four, soient transformés. Quelques rares fois, il est fait une petite ouverture dite fenêtre dans le four, afin d'y faire entrer peu d'air pour activer légèrement le feu, si le producteur juge cela nécessaire. Le four est refermé aussitôt. Mais l'ouverture permet aussi de savoir si le charbon est prêt ou pas. Dans le cas où la transformation est achevée, aucune fumée ne sort du four, malgré les fenêtres qui sont créées. Mais avant d'arriver à cette étape, tout le temps de la production, le fabricant veille nuit et jour sur le site. Il ne s'agit pas pour lui de prendre des dispositions pour empêcher des voleurs et autres bandits d'opérer, mais de s'assurer du bon déroulement de l'opération. " Il suffit d'une inattention pour que le résultat soit un échec ", souligne le jeune Claude Kouassi. Il indique qu'il arrive que la couche de terre chauffée par le feu laisse des passages d'air. " Il faut pouvoir refermer toutes ces ouvertures, pour éviter que le bois qui brûle dans le four soit constamment au contact de l'air provenant de l'extérieur. C'est l'air qui fait que le charbon se transforme en cendre ", explique notre interlocuteur. C'est pourquoi les producteurs de charbon préfèrent la saison pluvieuse à la saison sèche. La pluie fait que le sable se chauffe moins, reste plus compact et couvre mieux le bois. Les fours peuvent atteindre jusqu'à plus de huit (8) mètres de hauteur. Le nombre de sacs de charbon obtenu est évalué à 10 pour les fours de taille moyenne. Avec les plus gros fours, l'on peut aller jusqu'à 100 à 200 sacs de charbon de 70 à 80 Kg, retient-on. Les grossistes s'approvisionnent à bord champ, autour de 5500 Fcfa sur les sites de production, non loin d'Abidjan. Mais plus l'on s'éloigne de la capitale économique, plus le prix du sac baisse. Les grossistes livrent le produit aux détaillants sur le marché d'Abidjan généralement à 7500 Fcfa. Ces derniers le revendent à leur tour à 10.000 Fcfa. M. Kouassi explique qu'à chaque barrage les producteurs sont obligés de payer 1000 Fcfa par sac aux forces de l'ordre postées sur les routes. " Le phénomène du racket menace le secteur. Imaginez-vous ce qu'on débourse avec le nombre pléthorique de barrages quand le chargement vient de l'intérieur ", déplore le producteur. Il donne donc la réponse à la question de savoir pourquoi le charbon, produit par le bois ivoirien, est si cher sur le marché national. " Avec le racket on n'y peut rien", souligne-t-il. A Abidjan, le tas du charbon vendu à 100 Fcfa ne peut pas faire une cuisson. Nous n'exagérons pas. Il faut débourser un peu plus d'argent pour s'assurer qu'on n'aura pas de problème à la cuisine. Malheureusement, le gaz qui doit soulager quelque peu les consommateurs manque souvent dans les magasins. Il se fait rare sur le marché. M. Claude Kouassi souligne que même si le gaz est disponible en quantité suffisante, les ménages ne pourront se passer totalement du charbon. " La sauce graine ou celle d'arachide par exemple cuisent mieux au charbon ", souligne le producteur. Pour lui, la demande en charbon sera donc toujours considérable. " Mais si le secteur est mieux organisé et les autorités trouvent une solution au problème du racket, l'offre pourra être encore plus importante. Cela permettra de réduire le prix du charbon sur le marché ", conclut-il. Les agents des Eaux et Forêts, les plus mis en cause, se sont voulus peu bavards. Il nous a été difficile d'avoir un interlocuteur véritable dans le souci d'un équilibre de l'information relative au racket dont ils sont accusés au même titre que les autres forces de l'ordre. " Nous ne pouvons nous prononcer. Une information aussi infime soit-elle peut faire couler un ministre. Il faut une autorisation de l'autorité ministérielle avant que nous puissions répondre à vos questions. Il nous est donc difficile de vous dire quoi que ce soit ", nous a rétorqué une personne ressource, un haut gradé du corps des Eaux et Forêts vers qui nous avons été orienté pourtant dans le cadre de nos investigations. Cette personnalité qui a requis l'anonymat lâchera par la suite qu'il n'y a pas de racket. Elle soutient que les producteurs de charbon exercent pour la plupart dans l'illégalité et dans la clandestinité. Ceci expliquerait donc cela. Notre hôte fait savoir que même si les producteurs de charbon agissent sur un terrain déclassé ou qui leur appartient, comme ils le soutiennent, ceux-ci n'ont pas pour autant le droit de commercialiser le bois qui s'y trouve, puisqu'ils ne sont pas des exploitants forestiers. " Je ne peux vous en dire plus ", lance-t-il. Mais à qui doit-on s'en prendre ?

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