jeudi 12 avril 2007 par Nord-Sud

Les armateurs locaux se disent de plus en plus inquiets des méthodes non conventionnelles des pêcheurs chinois qui s'implantent progressivement dans les eaux ivoiriennes.

Sans gants de protection. Munis chacun d'un burin et d'un marteau, ils enfoncent, à coups rythmés, une étoupe (morceaux de bambous écrasés sous forme de tissu fin) dans les intervalles visibles entre les grosses planches de la coque d'un bateau en construction. Ensuite, ils appliquent une patte grise sur la même partie, du mastic (un alliage de résine) pour assurer l'étanchéité de la coque, long d'environ 33 mètres et haut de 7 mètres. Autour du nouveau chalutier en construction, en zone portuaire de Vridi, des ouvriers chinois (une dizaine) sont à la tâche. Certains sont positionnés en hauteur sur des échafaudages et fixent de gros boulons. Quand d'autres, par le biais d'une échelle, se sont introduits à l'intérieur. L'atelier qui accueille le squelette du bâtiment en construction se trouve à proximité du terminal à conteneurs de Vridi. Pour se protéger contre les rayons de soleil, ce vendredi 30 mars aux environs de 11 heures, les Asiatiques ont monté un toit de fortune formé d'un large tissu noir.
Des pratiques non conventionnelles

Ils s'occupent à peine de l'équipe de reportage qui passe à côté. Des petits regards en coin suffisent. Sans le moindre mot, ils poursuivent leur travail. Sur le site du chantier, d'autres ouvriers, des non Asiatiques émiettent avec une scie cylindrique de grosses planches en plusieurs petits chevrons qui sont amenés dans le bateau par les Chinois. Les ouvriers venus du pays le plus peuplé du monde ont déjà achevé sur leur chantier la fabrication d'un premier chalutier, rouge et bleu, partiellement mis à l'eau. A l'image de cet atelier, explique une source bien informée, les Chinois disposent également d'un second chantier naval à Locodjoro (Attécoubé). Au jour d'aujourd'hui, ces ouvriers venant de l'empire du milieu ont bâti 9 chalutiers. C'est seulement les billes de bois qu'ils achètent sur place ici. L'ensemble du matériel est importé de Chine, notamment, les boulons d'assemblage, le gouvernail, les hélices et les réducteurs c'est-à-dire les boîtes à vitesse et autres pièces, précise-t-il. Cette croissance exponentielle de la flotte chinoise sur les côtes ivoiriennes inquiète les opérateurs du secteur. Selon un marin, la méthode de pêche chinoise constitue un réel danger pour l'avenir de l'activité en Côte d'Ivoire. Dans la mesure où les chalutiers asiatiques utilisent des filets à petites mailles, appelés également chaussettes. Du matériel non conventionnel. La conséquence : les captures des alevins et des immatures croissent de façon vertigineuse. Cette pratique provoque un taux de rejet important de poissons morts en mer du fait de la compression des animaux. Lors des prises, les poissons sont entassés et coincés dans les filets, créant ainsi beaucoup de morts. Le taux de rejet des armateurs locaux n'excède pas le 1/4 de la prise totale. Or celui des chalutiers chinois est plus élevé, souligne T.S, armateur au port de pêche. Pour lui, ces rejets massifs favorisent la prolifération des macrophages (des crabes et poulpes qui vivent de cadavres de poissons). Dans ces conditions, les poissons vivants migrent vers d'autres zones de peur d'être phagocytés. Les Chinois viennent piller nos ressources avec d'autres bateaux pirates. Ils vont pêcher dans les zones interdites. C'est-à-dire à moins de 1 mile (à 1852 mètres des côtes). Où les poissons viennent s'accoupler.
Ils tuent la reproduction des animaux. Ils pratiquent la pêche pélagique (en haute mer) qui est interdite par la réglementation internationale. Nous sommes désillusionnés parce que depuis leur entrée en cascade dans la filière, nos prises ont chuté de 60%. A telle enseigne que nous pouvons passer une semaine en mer sans capturer de poissons matures, fulmine-t-il.

La vétusté de la flottille nationale

L'incidence reste fortement perceptible au regard des chiffres que les armements ivoiriens fournissent. En 1999, un seul sardinier débarquait 1.000 caisses de poissons par jour. En 2007, ce même bâtiment n'arrive pas à dépasser 300 caisses par jour. De même, en 1999, un chalutier débarquait 800 caisses contre 200 caisses aujourd'hui. Le poids d'une caisse avoisine les 100 kilogrammes. D'ailleurs il y a 25 ans, soutient T.S., les poissons plus petits sont devenus les plus gros d'aujourd'hui. Les opérateurs locaux accusent le ministère de la Production animale et des Ressources halieutiques d'être à la base de ce problème. Il a accordé trop de licences de pêche aux navires alors qu'il y a une diminution drastique du stock de ressources halieutiques des eaux ivoiriennes, dénoncent les armateurs locaux. Plusieurs fois au cours de leurs sorties, les exploitants des ressources maritimes ont interpellé le ministère de tutelle sur leurs différentes préoccupations. La dernière rencontre en date est celle qui a réuni le jeudi 3 août 2006 à la Caistab, le ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques, Alphonse Douati et le groupement des armateurs. Ils ont, à cette occasion, dénoncé les méthodes chinoises. Malgré ces interpellations, l'anarchie a gagné les eaux territoriales. Les opérateurs locaux fustigent l'absence de méthode de surveillance efficace des côtes ivoiriennes qui sont à la merci des bâtiments étrangers. Nous déplorons la présence de bateaux coréens, des anciens navires de guerre qui ont été transformés en bateaux de pêche. Ces armements sèment le désordre, peste l'un d'eux. En réalité, les armateurs ivoiriens ne peuvent pas soutenir la concurrence à cause de la vétusté de leur flottille. De 60 bateaux il y a 25 ans, la flottille nationale n'excède plus 40 navires aujourd'hui. Le prix réel d'un chalutier neuf ne vaut pas moins de 300 millions Fcfa. Nous ne disposons que de bateaux d'occasion qui valent 180 millions Fcfa l'un. Beaucoup d'armateurs ont fait faillite. C'est vraiment dramatique, relève T.S, la tête baissée, en signe de déception. Avant de mettre à l'index les taxes d'escale du port qu'il juge trop élevées. Il en veut pour preuve celle des embarcations qui est comprise mensuellement entre 550.000 Fcfa et 600.000 Fcfa par unité. Quant aux frais d'embarquement, ils atteignent jusqu'à 890.000 Fcfa. Un chalutier emploie au moins une dizaine de personnes. Ses charges analytiques mensuelles se chiffrent à 22,6 millions Fcfa. Le Syndicat des marins pêcheurs de Côte d'Ivoire (Symape-ci) ne décolère pas face à ce qu'il appelle une démission des structures étatiques.

Pour Kouassi Yao Barthélémy, secrétaire général du Symape-ci, les structures de contrôle et de surveillance ne jouent pas pleinement leur rôle de régulation dans la filière pêche en Côte d'Ivoire. Dans l'accord de pêche (2004-2007) signé entre la Côte d'Ivoire et l'Union européenne et qui va prendre fin le 30 juin, précise-t-il, Abidjan a bénéficié d'un financement de plus 698,5 millions Fcfa (1.065.000 euros/an) au titre des possibilités de pêche.

L'aide européenne invisible

Concernant l'appui pour la formation et la mise en ?uvre des politiques et stratégies du développement de la pêche, le montant alloué se fixe à 318,1 millions Fcfa. Soit une enveloppe globale de plus d'un milliard Fcfa. Ni les armateurs, ni les marins pêcheurs ne bénéficient d'une aide financière de l'Etat. Alors que notre flottille se trouve dans un état de délabrement avancé. Et puis, nous ne sommes jamais associés à la signature de ces accords avec l'UE. D'autres pays comme la Mauritanie obtiennent des financements d'environ 9 milliards Fcfa. La différence est nette, renchérit le marin pêcheur. Les opérateurs nationaux expriment leur ras-le-bol face à la déstructuration de leur filière et espèrent qu'un nouvel accord viendra corriger ces dysfonctionnements et autres aspérités. Si on ne met pas d'ordre, préviennent-ils, l'activité de pêche va mourir en Côte d'Ivoire au profit des Asiatiques et autres armateurs étrangers. Comme corollaire, il s'agira d'un dommage qui touchera plusieurs personnes. Et elles se retrouveront au chômage.

Cissé Cheick Ely

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