jeudi 19 avril 2007 par Le Nouveau Réveil

Paroles d'honneur " de Simone Gbagbo est assurément l'événement littéraire en Côte d'Ivoire. Même l'actualité politique ivoirienne, dense, (marquée outre le passage à témoin entre Charles Konan Banny et Guillaume Soro - un réel événement donc-, par la suppression de la zone de confiance), n'a pu en éclipser le succès médiatique. Le nom de son auteur a certainement suffi à cette tâche : Première dame de Côte d'Ivoire depuis bientôt sept ans, militante politique de grande carrure, député, Simone Gbagbo est indiscutablement une forte personnalité politique. L'autre nom, désormais illustre de son époux (Laurent Gbagbo), chef de l'Etat de Côte d'Ivoire, pays en proie à une grave crise politico-militaire, est loin d'être un poids négligeable dans le spectre d'audience du sien. " Paroles d'honneur " est le seul livre que nous savons de Simone Gbagbo. Pour son succès, il est bon de noter qu'à la cérémonie de dédicace, un exemplaire, mis aux enchères, a été acheté à 15 millions de nos francs[1] ! Récemment, le puissant DG de la Douane, Gnamien Konan, en a acheté 500 exemplaires (à près de 8 millions de francs), pour "ses braves douaniers". Une grande Première en Côte d'Ivoire, pour une Première dame, donc !
" Paroles d'honneur " est un pavé de 508 pages, de lecture aisée toutefois. Le choix et la taille de la police (suffisamment gros pour qu'on puisse lire le texte sans qu'il ne soit besoin de porter des lunettes), l'aération des pages (25 à 29 lignes au maximum), la qualité du papier, les phrases, courtes, simples et sans artifices littéraires, participent au confort du lecteur qui suit, sans s'ennuyer, le discours de ce livre fortement militant. Il est divisé en sept (7) parties comprenant un total de 157 chapitres. Un épilogue en deux chapitres (" A bâtons rompus " et " Ne pas se taire " -p.449 et 463) ainsi que des Annexes comprenant trois discours du chef de l'Etat, Laurent Gbagbo, (p.469-497), bouclent définitivement le livre.
On y entre, de manière surprenante, par le ... " Palais présidentiel ! " en une série d'arrêts sur images où le narrateur-acteur décrit l'atmosphère de l'investiture du tout nouveau président de la République. Emotions, souvenirs ! La mémoire volant dessus le temps et revisitant les traces du passé : les années de lutte, la prison, l'image du père (omniprésente dans toute la première partie) et, au bout de la course, la réalisation du grand rêve : accéder au pouvoir d'Etat, connaître l'ivresse du sacre. Simone peut donc laisser éclater sa joie : " J'ai du mal à le réaliser : je suis Première dame de mon pays ! " (p. 18).
Mais qui est cette nouvelle Première dame ? Les autres pages du livre nous invitent à la découvrir. Plus de 400, à suivre Simone Gbagbo : son enfance, l'univers de l'enseignement, ses premiers pas de militante clandestine sous l'éclairage de Bernard Zadi (dont elle altère étonnement le rôle dans son éducation politique et l'histoire de la gauche ivoirienne) et de Laurent Gbagbo (qu'elle exalte à souhait), ses premiers combats, enfin le monde de la politique officielle, au sortir de la clandestinité.
Livre autobiographique d'apparence, " Paroles d'honneur " échappe toutefois à cette classification formelle et prend plutôt les allures d'un réquisitoire contre l'opposition ivoirienne et la Françafrique qu'elle accuse de vouloir perpétuer le pacte colonial (le mot fétiche de la Refondation). Tour à tour, passent ainsi au fil de l'épée de Simone Gbagbo, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, Jacques Chirac, Soro Guillaume... Exaltation, accusations et haine.
L'exaltation ici, c'est la célébration excessive de l'image de Laurent Gbagbo à qui est consacré plus du quart du livre (soit plus d'une centaine de pages). L'essentiel de la troisième partie, ainsi que de nombreux sous-chapitres d'autres parties du livre (p. 237-260 ;
p. 469-497), ne sont que des panégyriques à Laurent Gbagbo que l'épouse-mère-militante encense, à n'en plus finir. Lisons quelques titres : " Gbagbo, un homme indépendant, un homme juste " (p. 79), Gbagbo " Le visionnaire " (p. 91), Gbagbo " un personnage atypique" (p.95), Gbagbo, " L'homme de courage et de conviction ", (p.99). "Laurent est un grand homme de culture " (p.233), etc.
L'amante, l'épouse, la militante, enfin la prosélyte, se conjuguent alors pour déclamer :
" J'ai toujours eu une admiration profonde pour Laurent Gbagbo, une admiration qui ne s'est jamais érodée. Même en étant son épouse (...) il continue de m'épater. (...) Laurent a une véritable vision politique et je crois que c'est ce qui dérange (p.95) ; " Tout nouvellement élu, Laurent n'était comptable d'aucun grief exprimé dans la société " (p.260) ; " Les idées de Laurent Gbagbo dérangent, son ouverture d'esprit, son désir de mieux-être pour l'ensemble de son peuple, son refus de la corruption dérangent ! " (p. 318) ; " Laurent a une très belle qualité d'homme d'honneur" (p.414). La canonisation achevée !
Oui, La Bruyère peut le répéter : " Amas d'épithètes, mauvaises louanges ". On peut se demander comment une universitaire, censée posséder un minimum de culture de la distanciation, peut-elle en arriver à confondre des billets doux (à un amant, un époux), à un livre politique d'intérêt public ! A l'opposé, sont diabolisés tous les opposants ivoiriens :
Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, Guillaume Soro, Robert Guéi, Innocent Anaky..., ainsi que les étrangers. A l'encontre de Ouattara surtout, le propos donne dans la méchanceté ouverte : " Concernant Alassane Ouattara, j'avais acquis la conviction que cet homme était dangereux, sans scrupule, sans foi ni loi" (p. 148). Elle l'accuse d'avoir fait le coup d'Etat du 24 décembre : " Les événements (...) montrèrent clairement que le véritable instigateur de ce coup de force était sans conteste Alassane Ouattara !" (p. 184) ; plus loin, elle l'achève littéralement : "Je puis vous assurer, parole d'honneur, qu'un tel personnage ne peut pas faire honneur à l'élite africaine d'aujourd'hui" (p. 335). Empruntant la phraséologie du Président de l'Assemblée nationale Mamadou Koulibaly, elle n'hésite pas aussi à dire : "Alassane (...) n'est rien d'autre, qu'un allié, qu'un instrument de la France chiraquienne et de ces étrangers " (p.445)...
Quand on a fini de lire tous ces mots à l'encontre de Ouattara, on peut se demander comment un tel "diable" a pu être le partenaire et l'allié le plus sûr de Laurent et Simone Gbagbo, ainsi que des Refondateurs, dans leur combat sans merci contre Henri Konan Bédié, de 1995 à 1999 - la belle époque du Front républicain !...

Un livre dénonciateur
Livre militant, " Paroles d'honneur " est un texte au langage résolument dénonciateur. La véhémence du discours, orienté contre ceux qu'elle estime être les oppresseurs (la France "chiraquienne", la rébellion, l'opposition politique) est sans doute proportionnelle aux crimes qu'elle leur impute. La rébellion est, bien sûr le point axial de ses griefs. Le sous-chapitre "Septembre noir" (p.320-329) de la troisième partie, ainsi que tout le chapitre intitulé " Jeux de massacres" (p.331-342) sont, à cet égard, très expressifs. L'auteur y décrit les atrocités commises par la rébellion. On se surprend ici à revivre avec émoi et désolation, l'exécution des 196 gendarmes de nos forces de protection nationale, la terreur qui a sévi dans les zones contrôlées par les insurgés. Page 324 : " Ils se déplacent dans les villes du Nord, mobilisant sur place des jeunes, des élèves, et les formant à la va-vite au maniement des armes. (...) Les rebelles en armes organisent la chasse aux sorcières dans les villes du Nord. Tous les fonctionnaires sont pourchassés, traqués, arrêtés et quelquefois abattus. Les gendarmes des brigades, les policiers des commissariats traditionnellement répartis sur toute l'étendue du territoire par petites équipes, s'avèrent incapables d'assurer la défense des citoyens et encore moins de freiner cette progression armée des rebelles suréquipés. Ils cherchent leur salut dans la fuite. " (p. 324-325).
On peut reconnaître et affirmer que ce récit des atrocités subies par nos populations, les commentaires sur les méthodes guerrières utilisées par les agresseurs, sont conformes aux nombreux témoignages des rescapés de ces tueries dont l'horreur, on le devine, est certainement au-dessus de l'habileté littéraire du narrateur - de tout narrateur même : aucun texte littéraire n'est jamais suffisamment fort pour rendre vraiment compte de la souffrance de l'homme face à la mort - surtout la mort violente donnée par la main armée d'en face.
L'auteur inclut, dans ce chapitre de forte tonalité émotionnelle, le témoignage d'un ancien officier de presse de l'armée française (p.329). C'est un témoignage qui incrimine sérieusement les autorités françaises dans l'ampleur des crimes de la rébellion. Mais c'est surtout une perche idéale que saisit Simone Gbagbo pour développer des réflexions et poser des questions (qui m'ont paru essentielles) sur les concepts de Souveraineté (p. 343-370), de Dignité (p. 377-395), enfin sur la françafrique (p.399-412). Les conclusions auxquelles elle parvient, sont familières aux Ivoiriens - le classique menuet ; " C'est la françafrique qui attaque la Côte d'Ivoire, pour faire main basse sur nos richesses " (p.445) ; " Le conflit ivoirien est dû à la conjugaison étroite de trois volontés de puissance qui se sont alliées pour l'occasion : celle de H. Konan Bédié, celle de Alassane Ouattara et celle de la France chiraquienne " (p.411 )...

Un livre partisan et incomplet
" Paroles d'honneur" de Simone Gbagbo, comme l'indique l'énoncé, est la parole d'honneur (c'est-à-dire, la parole sans fard, sans aucune falsification, sans omission, la parole-vérité) de la Première dame de Côte d'Ivoire. Si le livre ouvre incontestablement des brèches et éclairages sur la crise ivoirienne et (une part) de l'histoire des combats libertaires en Côte d'Ivoire, il nous laisse franchement sur notre faim par son côté partisan, trop subjectif. Le complexe d'innocence et de pureté dont l'auteur-militante-épouse, couvre l'action de son ex-compagnon, fiancé, actuel époux et chef d'Etat, Laurent Gbagbo, altère sérieusement la crédibilité du propos. De regrettables (mais comme on comprend Simone Gbagbo !) omissions brouillent aussi la lecture du livre : les circonstances de la mort de Boga Doudou ; celles aussi de Robert Guéi, restent ainsi à être expliquées à l'opinion nationale. Qui a tué Boga Doudou, l'homme le mieux gardé, le plus protégé du pays ? Qui a tué Robert Guéi ? Ce dernier, on le sait, s'était réfugié à la Cathédrale du Plateau, et seuls le clergé et les hommes au pouvoir avaient été informés de cette cache. Les insurgés, occupés à en découdre avec les camps de gendarmerie et de police, avaient mieux à faire que fouiner dans une ... cathédrale !
Les circonstances de la mort du Général Robert Guéi, telles qu'exposées par Simone Gbagbo qui impute cet assassinat à la rébellion (p.274) sont horriblement inexactes : Robert Guéi (ce n'est un secret pour aucun Ivoirien sérieux) a été tué par le pouvoir. La raison donnée alors fut qu'il s'en allait à la RTI pour annoncer à ses soutiens (les rebelles), la (re) prise du pouvoir d'Etat. Tous les journaux de cette période en parlent, des déclarations d'officiers de notre armée confirment nos propos. Alors, d'où vient cette réécriture (affreusement falsifiée) d'un fait encore récent dans nos mémoires ? Ah, Simone Gbagbo ! A Koussou (toi aussi) !!!...
Le mutisme observé sur des noms d'illustres personnages qui ont écrit les premières pages de l'opposition ivoirienne, clandestine, et des noms de figures qui sont apparues dans la continuité de ce combat, nous a paru stupéfiant. Nous songeons ici, entre de nombreux autres, à: Mémel Fôté, Francis Wodié, Adam Camille, Gbaï Tagro (le premier d'entre tous à avoir effectivement déposé une demande de reconnaissance officielle de son parti - au tout début des années 1980), Désiré Tanoé, Ngo Blaise, Doudou Salif, Laurent Akoun..., stupéfie tous ceux d'entre nous qui ne sont pas totalement ignorants de cette histoire.
Simone Gbagbo écrit aussi à propos de la transition militaire : " Sous la pression du FPI, le général Guéi recule et rééquilibre la distribution des postes entre les différents partis FPI, RDR, PIT, PPS... " (p. 188). Elle omet délibérément de dire que son parti a exigé d'avoir des "postes juteux" et qu'au décompte, le FPI sortait largement favori de cette nouvelle distribution de portefeuilles ministériels aux bénéficiaires de ce coup d'Etat. Ici, des questions essentielles doivent être posées à Simone Gbagbo : à quel titre le FPI a-t-il exigé un rééquilibre dans la distribution des portefeuilles ministériels ? Comment un parti de prétendus républicains et de démocrates, adeptes (comme ils le clament) du refus de la voie des armes comme mode d'accession au pouvoir d'Etat, a-t-il pu se permettre non seulement de saluer et de cautionner un coup d'Etat, de participer à un gouvernement de putschistes, mais en plus, d'exiger des postes ministériels en sa faveur ? Celui qui n'a pas tué l'éléphant peut-il exiger une part plus grosse du gibier ? A-t-il même le droit d'en exiger la moindre part ? Or, le FPI a exigé et obtenu tout cela. Qui est donc l'auteur du coup d'Etat ? A qui a profité le crime ? Le FPI est-il, oui ou non, impliqué dans le coup d'Etat de décembre 1999 ? Sinon, que faisaient Lida Kouassi, Odette Sauyet, Freedom Neruda dans " les casernes en ébullition " (les mots sont de Lida Kouassi) durant ces jours terribles de décembre 1999 où le pays a chaviré dans un coup d'Etat dont nous continuons de porter les meurtrissures ?
Zouin Honoré, putschiste, affirme, (Paroles d'honneur d'officier !) qu'ils y avaient été envoyés sur instruction de Laurent Gbagbo, afin qu'ils (les mutins) transforment leur mouvement de revendication corporatiste en coup d'Etat. Ce qui fut fait ! (Voir interview de Zouin Honoré, dans le Nouveau Réveil du n°1143 d'octobre 2005). Il est étrange que Simone Gbagbo n'ait pas saisi l'opportunité de ce livre, pour répondre (enfin !) à cette grave accusation qui ne cesse de hanter le cerveau de bon nombre d'Ivoiriens, comme moi !!!
Convaincue des vertus du putsch, Simone Gbagbo écrit, tout naturellement à l'encontre d'Henri Konan Bédié : "(...) d'anciens dirigeants qui n'ont pas accepté l'alternance comme Bédié... ! " (p.318). Stupéfiant ! Nous savons, tous, que Henri Konan Bédié a été chassé du pouvoir par un coup d'Etat et non pas à la suite d'élections. Nous savons aussi qu'avec la complicité du FPI et d'un Conseil constitutionnel corrompu, les putschistes de décembre 1999 (dont fait partie réellement le FPI) ont refusé à l'ex-président, la possibilité d'aller en compétition électorale, transparente et démocratique. De quelle alternance donc parle Mme Simone Gbagbo ? Un coup d'Etat est-il la voie privilégiée pour l'alternance dans un système de démocratie ? L'exclusion des candidats forts et crédibles de la compétition électorale est-elle de même, un mode d'alternance démocratique ?...
Sur la foi et l'honneur, Simone Gbagbo devra un jour répondre à toutes ces questions essentielles qui, à elles seules, forment la corbeille de n?uds de la crise ivoirienne - cette mentalité insurrectionnelle qui habite désormais le cerveau des opposants, dans ce pays. Pour l'heure, elle devra surtout retenir qu'il y a des livres que l'on ne doit pas se permettre de publier à la légère, et à n'importe quel moment, quand on est au pouvoir.
Simone Gbagbo, " Paroles d'honneur ", Pharos/Jacques-Marie Lafont, Ramsay, 508 pages.
Tiburce Koffi,
Professeur de Lettres,
Écrivain 01-05-40-43.
tiburce_koffi@yahoo.fr
Ampliation: Fraternité Matin

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