mardi 23 octobre 2007 par Islam Info

La porte s'ouvre et Afifa Naz apparaît, ensevelie sous son niqab noir. Je ne vois que ses yeux. Tout le reste est caché - le front, le nez, les cheveux. Tout.
Elle m'accueille poliment. Je suis son ombre qui glisse sur le plancher. Nous traversons un grand vestibule où pend un lustre rococo. Le soleil inonde les pièces du bungalow niché au milieu d'une rue tranquille à Brossard. Dès que nous arrivons au sous-sol, Afifa enlève son niqab d'un geste souple. Son visage est lisse, sans trace de maquillage. L'ombre devient une femme en chair et en os. La différence est brutale. Je lui demande pourquoi elle portait son niqab lorsqu'elle a ouvert la porte. Mon beau-frère travaille au rez-de-chaussée, répond-elle. Je ne peux pas lui montrer mon visage, car je n'ai pas de lien de sang avec lui. Elle doit donc garder son niqab dans la maison, au cas où elle le croiserait. Afifa et son mari ont aménagé une chambre, une salle de bain et un salon au sous-sol, où le beau-frère ne met jamais les pieds. Par contre, ils prennent leurs repas en famille. Afifa mange donc avec son niqab. Elle glisse sa fourchette sous son voile à chaque bouchée. Pas facile de trouver une femme en niqab au Québec. Il y en a très peu. Une poignée, 20, peut-être 30 à tout casser. Celles qui le portent sont craintives et préfèrent se taire. J'ai retourné la ville à l'envers pour en trouver une. Je voulais lui parler de la controverse déclenchée par la décision du directeur général des élections du Canada de permettre aux femmes qui portent le niqab de voter sans avoir à montrer leur visage. J'ai contacté des associations musulmanes à Montréal et à Ottawa, j'ai envoyé des courriels. Rien. J'ai finalement atterri à l'Université Concordia, réputée pour accueillir un nombre impressionnant d'étudiants musulmans. J'ai emprunté des escaliers mécaniques grinçants, car les ascenseurs étaient en panne. En chemin, j'ai croisé des Asiatiques, des Africains, des Arabes... En quelques minutes, j'ai fait le tour du monde. J'ai abouti au septième étage, où loge l'Association des étudiants musulmans. Je suis arrivée au beau milieu de la prière. J'avais oublié que c'était la première journée du ramadan. Des hommes portaient la barbe, des femmes, le foulard. J'ai tendu la main au responsable des communications de l'Association, Mustafa Khan. Il l'a ignorée. Les musulmans pratiquants ne touchent pas la main des femmes. Je le savais, mais j'avais oublié. Un autre oubli. C'est là, dans le corridor beige de l'université, à deux pas de la salle de prière, que j'ai croisé le frère d'Afifa, Imaad. J'ai trois soeurs qui portent le niqab, m'a-t-il dit. Afifa acceptera peut-être de vous parler. Lorsque je me marierai, a-t-il ajouté, ma femme portera le niqab. Je ne veux pas qu'elle attire l'attention. Ça promet, me suis-je dit. Afifa est née au Pakistan. Elle a quitté son pays natal à l'âge de huit ans. Aujourd'hui, elle en a 25. (....) Forte de mes préjugés, j'ai filé vers Brossard dimanche dernier. La journée était magnifique, lumineuse. Je m'attendais à rencontrer une femme qui vit sous le joug de son mari, mais Afifa n'est ni soumise, ni battue, ni même cloîtrée à la maison avec une ribambelle d'enfants. Elle a un baccalauréat en génie électrique, elle étudie à temps partiel en design et elle travaille pour une compagnie pharmaceutique, Merck Frosst. Elle n'a pas d'enfant, même si elle est mariée depuis trois ans. Et je fais ce que je veux sans demander la permission à mon mari, tient-elle à préciser. Je ne pourrais pas vivre au Pakistan ni m'adapter à sa culture, poursuit-elle. J'ai quitté ce pays à l'âge de huit ans. Je ne connais pas les Pakistanais et je n'ai aucune affinité avec eux. Même si Afifa affronte le monde avec un rare aplomb, elle a hésité avant de me rencontrer. Elle voulait lire mon article avant la publication. J'ai refusé. Elle a finalement accepté de me parler pour que les gens sachent ce qui se cache sous le voile. Sous son voile. Elle veut d'abord régler une chose: jamais son mari ne lui a demandé de mettre un niqab. Son père non plus, d'ailleurs. Je préfère voiler mon visage, c'est mon choix, ma décision, souligne-t-elle en me regardant droit dans les yeux. Lorsque son mari l'a rencontrée, elle portait le niqab. Il n'a vu son visage qu'après les fiançailles. Elle porte le niqab depuis l'âge de 16 ans. Ce n'est pas toujours facile. Elle se fait parfois insulter. À Concordia, une étudiante a craché sur elle. Et les gens la dévisagent. Elle a horreur de ça. Je ne dévisage personne, moi! lance-t-elle avec colère. Je ne dis pas aux gens comment s'habiller. lle ne se laisse pas intimider. Certains me crient: On est au Canada, ici! raconte-t-elle. Je leur réponds: Je le sais, merci beaucoup! D'autres lui disent: Retourne dans ton pays! Je suis chez moi, ici, proteste-t-elle. Qui sont-ils pour me traiter ainsi? Je travaille ici, j'ai étudié ici, je me suis mariée ici et je vais avoir des enfants ici. Alors, ne venez pas me dire que je ne suis pas canadienne! De toute façon, nous sommes tous des immigrés. Au travail, ses collègues font comme si de rien n'était. Un seul a osé lui poser une question sur son niqab. Elle a trouvé son emploi sur l'Internet. Elle s'est présentée à l'entrevue sans dire qu'elle portait un niqab. Son futur patron n'a pas bronché et il ne lui a posé aucune question sur son voile. Et le vote en niqab? Afifa lève les yeux au ciel. Le directeur des élections a essayé de nous accommoder, répond-elle. C'est bien, mais les musulmans n'ont rien demandé. Quand je passe la frontière, je lève mon voile, ça me prend deux secondes. Ça ne m'a jamais dérangée. Au contraire, c'est normal. Pourquoi cette histoire a-t-elle fait autant de bruit? demande-t-elle incrédule.
De toute façon, Afifa n'a jamais voté. Son mari non plus. À la fin de l'entrevue, Afifa remet son niqab. Elle grimpe les escaliers et me reconduit à la porte. Elle est redevenue une ombre sans visage et sans identité. C'est à peine si je la reconnais lorsqu'elle me serre la main.
Catholiques et... voilées

LES CATHOLIQUES ET LE VOILE par Mario Girard -

La scène est dépaysante. Plusieurs dizaines de fidèles récitent et chantent des prières en latin devant un prêtre entouré d'enfants de choeur. Entre des coups de clochettes et des balancements d'encensoir, on plonge son nez dans un missel.
Autre détail qui surprend: toutes les femmes ont la tête couverte d'un voile de dentelle. On se croirait dans les années 60. Pourtant, on est bien à Montréal, en 2007, dans une église catholique.Tous les dimanches, l'abbé Dominique Boulet se rend à l'église Saint-Joseph, rue Dante, pour y dire la messe en latin. Membre de la Fraternité Saint Pie X, le prêtre défend depuis une vingtaine d'années le rite latin, qui vient de recevoir l'approbation du pape Benoît XVI.Le 7 juillet dernier, Benoît XVI a publié un motu proprio qui redonne tous ses droits à la messe traditionnelle en latin, explique l'abbé Boulet, assis derrière un bureau, dans une soutane noire qu'il ne quitte jamais. Depuis le 14 septembre, cette décision est officiellement en vigueur, ajoute-t-il.Grâce aux trois prêtres de la Fraternité Saint Pie X du Québec, des messes en latin sont actuellement célébrées à Shawinigan, à Ottawa et à Montréal. La Presse y a assisté à l'église Saint-Joseph. On y a appris que des gens viennent d'aussi loin que Saint-Jérôme ou Cornwall, en Ontario, pour renouer avec des rituels que les moins de 40 ans ne connaissent pas.Ça, c'est une vrai messe, lance un paroissien avec une satisfaction non dissimulée.Dans le rite latin, c'est la seule messe qui traduise véritablement la foi catholique, nous explique Pierre Messier, un autre fidèle. C'est clair que le Novus ordo est déficient.Le Novus ordo, c'est ce qui est né du concile VaticanII, qui s'est déroulé entre 1962 et 1965, et qui a fait entrer l'Église catholique dans la modernité. Le catholicisme a procédé à une capitulation, reprend M. Messier. Il n'aurait pas dû. Ceux qui ont fait VaticanII avaient des problèmes.Alors que les catholiques du Québec tentaient de redéfinir leurs rites religieux dans des messes à gogo, d'autres fidèles s'obstinaient à vouloir préserver les célébrations latines. Devant l'insistance de l'archevêché de Montréal, qui voulait définitivement mettre un frein à cette pratique, certains avaient même occupé une église au milieu des années 70 pour exprimer leur attachement au traditionalisme. Léo Laberge faisait partie de ceux-là.Nous avons passé 15 jours d'affilée dans l'église Sainte-Yvette en soutien à l'abbé Normandin, qui défendait cela, raconte M. Laberge. J'ai toujours cru en cela. Nos églises sont vides, alors qu'on construit des mosquées à Montréal. Peut-être que, s'il y avait plus de messes comme celles-là, on aurait plus de pratiquants.


Parmi les personnes qui assistaient à la messe d'hier, il y avait plusieurs femmes. La plupart portaient une mantille blanche ou noire. Une affiche, à l'entrée de l'église, est d'ailleurs consacrée au code vestimentaire.Nous rappelons la tradition bimillénaire qui requiert que les femmes aient la tête couverte, peut-on lire dans ce texte sur la Modestie chrétienne. Plus haut, on invite les femmes à porter des jupes qui tombent huit pouces au-dessous des genoux.Où est le problème? demande Pierre Messier. Ces femmes ne portent le voile que pendant la messe. Les musulmanes, elles, le portent 24 heures par jour. L'islam ne fait pas la différence entre le civil et le religieux.Venue avec son mari, Michèle Guy s'étonne de notre question. Ah oui? Il y a un débat sur le port du voile? Moi je ne vois aucun mal à cela. Ce qui compte, pour nous, c'est de retrouver ce que nous avions perdu.Aux nombreux rituels de la messe traditionnelle en latin sont greffées certaines valeurs. L'abbé Boulet les défend avec aplomb. Le sexe avant le mariage? C'est non, tranche-t-il. L'homosexualité? C'est clair, c'est contre nature. L'alcool et la drogue? Si c'est un petit verre, ça peut aller. Si c'est un vice, c'est non. La contraception? Non, nous suivons l'enseignement de l'Église et cela n'a pas changé.Mais quand on lui demande s'il se conformerait à une décision révolutionnaire du Vatican, comme par exemple la reconnaissance du mariage entre conjoints de même sexe, l'abbé Boulet devient hésitant. On suit l'enseignement... Et de toute façon je ne peux pas croire que l'Église accepterait une chose pareille.

Le voile, encore le voile par Rima Elkhouri-La Presse

Le voile est sur toutes les lèvres, même s'il n'est que sur une faible minorité de têtes. Le voile est politique, le voile est un symbole de soumission et d'inégalité, le voile n'a rien à voir avec la conviction religieuse, dit-on.
D'emblée, mon fond féministe me porte à suivre la rumeur et à désapprouver le port du voile en tant que puissant symbole de l'inégalité homme-femme. D'emblée, je ne peux qu'être révoltée par tous ces voiles instrumentalisés par les fondamentalistes, déployés fièrement comme autant de drapeaux. Révoltée aussi par le sort injuste réservé aux femmes forcées de le porter en Arabie Saoudite ou en Iran. Mais nous ne sommes ni en Arabie Saoudite ni en Iran. Demandez à des musulmanes d'ici pourquoi elles portent le voile et vous aurez toutes sortes de réponses parfois tout à fait surprenantes.Homa Hoodfar, professeure d'anthropologie à l'Université Concordia, a fait le test dans le cadre d'une fascinante étude publiée en 2003(1). À l'aide de 12 musulmanes, certaines voilées, d'autres non, elle a cherché à connaître le point de vue sur le voile de plus d'une centaine de jeunes musulmanes de 15 à 33 ans vivant ici. Féministe d'origine iranienne et non voilée, l'anthropologue avoue que les résultats sont parfois venus bousculer ses propres idées préconçues.D'emblée, Homa Hoodfar a constaté que les réponses des interviewées variaient énormément selon leur pays d'origine. Les Iraniennes, par exemple, qui ont pour la plupart fui l'étau d'un régime islamique qui imposait le voile, tendent, pour des raisons évidentes, à être extrêmement critiques face au voile et à ce que l'islam a à offrir aux femmes.À l'autre extrême, les femmes d'origine somalienne, qui fuyaient la guerre civile et qui ont pu compter sur l'aide de la communauté musulmane à leur arrivée au Canada, ont souvent une vision bien différente.On aime bien imaginer la femme voilée comme nécessairement passive et soumise, en attente de délivrance, de notre délivrance. On aime penser que les filles sont toujours obligées par leurs familles à se voiler. Pourtant, contre toute attente, plusieurs des filles interrogées pour cette étude ont dit qu'en fait elles ont dû se battre contre leurs parents pour pouvoir porter le voile.Dans plusieurs cas, les parents opposés au voile avaient décidé d'immigrer au Canada pour assurer à leurs filles un meilleur avenir. Parfois, des pères ont tenté en vain de dissuader leurs filles de le porter... On est donc bien loin des scénarios d'oppression classiques à la Jamais sans ma fille.On apprend aussi dans cette étude que certaines jeunes femmes qui n'auraient jamais porté le voile dans leur pays d'origine parce qu'elles le considèrent justement comme un symbole d'inégalité choisissent de le porter ici par réaction aux discours de diabolisation de l'islam. Pour elles, cela devient une question d'affirmation identitaire. Un acte de défi symbolique aux yeux de ceux qui les méprisent.Aussi, à ma grande surprise, pour d'autres jeunes femmes interrogées, le voile est perçu comme une stratégie d'émancipation. Car en se voilant, certaines veulent envoyer à leur famille le message qu'elles sont de bonnes musulmanes pieuses. Elles gagnent ainsi la confiance de leurs parents et acquièrent une plus grande liberté.Le voile devient une stratégie pour échapper à des traditions patriarcales comme le mariage arrangé. Face à des parents qui auraient tendance à interdire à leur fille de sortir ou de socialiser avec des non-musulmans, le voile est alors perçu comme un choix subversif vers l'émancipation. Il permet même à certaines de quitter la maison familiale pour aller à l'université ou de se lancer sur le marché du travail, des choix considérés comme audacieux dans certains milieux. Tout ça pour dire que les raisons qui poussent des musulmanes d'ici à porter le voile sont pour le moins diversifiées. Ça ne m'empêche pas, personnellement, de continuer à y voir un symbole d'inégalité. Mais à moins de créer une nouvelle police de la pensée qui irait sonder les esprits pour savoir qui le porte par soumission et qui le porte par conviction, qui le porte par défi et qui le porte par dépit, il me semble simpliste de s'y opposer au nom d'une vision unidimensionnelle de la pauvre-femme-musulmane-soumise.Malheureusement, comme le souligne Charles Taylor dans un intéressant texte publié dans The Guardian(2), il semble impossible aujourd'hui de discuter du voile sans tomber dans les idées toutes faites sur l'islam. Toutes les preuves sociologiques concernant les motivations des filles, qui sont en fait très variées, sont balayées comme étant non pertinentes. Tout ce qui compte, c'est la menace que pose l'islam, écrit-il (traduction libre).Paradoxalement, c'est précisément pour défier cette vision unidimensionnelle de l'islam que certaines femmes choisissent le voile. Curieux cercle vicieux qui semble de plus en plus difficile à briser.

La Presse par Michèle Ouimet

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