jeudi 8 mai 2008 par Notre Voie

L'ambassadeur Guy-Alain Emmanuel Gauze démontre dans cet entretien les contours des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Notre Voie : Excellence, en votre qualité de coordonnateur et porte-parole du groupe des 53 pays africains, dans quel contexte situez-vous les négociations qui se déroulent actuellement à Genève dans le cadre des activités de l'OMC ?
Guy-Alain Gauze : La signature de l'Accord de Marrakech et l'avènement de l'OMC en 1994, consécutifs à l'achèvement du cycle d'Uruguay (1986-1994, ndlr), marque la refonte du système commercial multilatéral, d'un point de vue institutionnel certes, mais aussi au regard des ambitions affichées d'étendre les disciplines d'ouverture et de libéralisation à de nouveaux secteurs du commerce international. Si les bénéfices escomptés de l'ouverture des marchés inscrits à l'agenda du cycle d'Uruguay n'ont pas toujours été à la hauteur des attentes des pays en développement, en termes de croissance et/ou de développement, les espoirs et les attentes des pays en développement, par ricochet du continent africain dans les résultats du nouveau cycle de Doha, n'en sont pas moins affirmés en raison de la dimension développement? du programme de travail de Doha. Le processus de négociations en cours est juridiquement encadré par trois textes de référence. Notamment, la Déclaration ministérielle de Doha de novembre 2001, qui a lancé le processus de négociations articulé autour du Programme de travail de Doha?, qui, dans son énoncé, sa portée, son champ d'application, ainsi que ses mesures d'exception et d'exemption en faveur des Pays les moins avancés (PMA) et aussi de flexibilités diverses au profit des pays en développement, semble avoir été conçu pour répondre aux Objectifs du millénaire pour le développement. Le second texte référant concerne l'Accord-cadre de juillet 2004. Compromis politique par excellence, il aura permis de relancer le cycle de Doha avec une feuille de route aux accents plus consensuels et aérés. Enfin, la Déclaration ministérielle de Hong-Kong de décembre 2005, qui réaffirme avec emphase, les décisions ministérielles adoptées à Doha (novembre 2001, ndlr) et celles du Conseil général consignées dans l'Accord-cadre.
Aux termes du Principe de l'engagement unique, traduit par la formule Rien n'est convenu tant que tout n'est pas convenu?, les domaines de négociations ont été identifiés comme faisant partie d'un ensemble indivisible. Notamment, l'agriculture y compris le coton dans les disciplines portant sur les trois piliers : accès aux marchés, soutiens internes, subventions à l'exportation ; l'accès aux marchés pour les produits non agricoles (AMNA, ndlr) ; les services, la facilitation des échanges ; les règles de l'OMC ; le commerce et l'environnement

N.V. : Le spectre des négociations à l'OMC est-il si large que cela ?
G.A.G. : Bien sûr, et c'est ce qui explique l'intensité et la complexité du processus de négociation, et le rôle stratégique de la Côte d'Ivoire dans sa posture de coordonnateur et de porte-parole du groupe africain à l'OMC à Genève.

N.V. : L'agriculture semble être un des domaines essentiels du processus de négociation, mais aussi une source de contradictions et d'oppositions entre les pays membres de l'OMC
G.A.G. : Le GATT originel s'appliquait certes bien au commerce des produits agricoles, mais il comportait des failles qui faussaient les règles du marché, en permettant à certains pays d'accorder massivement des subventions distorsives à l'exportation ou d'appliquer des mesures non tarifaires. Pour le groupe africain, les négociations concernant l'agriculture sont fondamentales en raison d'indicateurs qui fixent à 70% la population rurale du continent. Elle constitue 60% de la main-d'oeuvre du secteur produisant environ 25% du PIB. La vitalité économique et industrielle de nombreux pays africains est tributaire de la bonne tenue et de la viabilité du secteur agricole de subsistance et/ou d'exportation de denrées alimentaires ou de spéculations agricoles. Pour le groupe africain à l'OMC, le succès du cycle de Doha sera déterminé par les progrès et des résultats porteurs dans les négociations sur l'agriculture. La dernière version du projet de texte de modalité proposée par le président du comité de négociation, publiée le 8 février dernier, couvre les trois piliers de l'Accord sur l'agriculture assortis d'engagements spécifiques auxquels les pays membres devront souscrire en matière de réduction de soutien interne, de subventions à l'exportation et d'accès aux marchés.

N.V. : Pouvez-vous être plus explicite ?
G.A.G. : La formule de réduction tarifaire est une des questions principales. Il est prévu une réduction de 48 à 52% pour les tarifs les plus bas inférieurs à 20%, et dans les tarifs les plus hauts supérieurs à 75%, des réductions de 62 à 65%. Le président du groupe de négociations a introduit une discipline supplémentaire d'une réduction moyenne de 54% dans la formule qui inclut le traitement des produits sensibles. Les pays en développement se voient quant à eux, accordés une réduction moyenne de 36%. Le président du groupe de négociations prévoit la désignation de 4 à 6% de produits sensibles, voire, dans certains cas, la possibilité d'aller jusqu'à 8%. En contrepartie, les pays qui utilisent ces mesures de flexibilité au titre de l'accès aux marchés devront accroître leur contingent tarifaire. Concernant l'accès aux marchés des pays en développement, il est indiqué que ceux-ci sont soumis, au titre du principe du traitement spécial et différencié, à une réduction moindre par rapport aux pays développés. L'application de la formule étagée correspond à deux tiers de moins des abaissements exigés aux pays développés. Pour ce qui est des produits sensibles dans les pays en développement, comme mesures de traitement spécial et différencié, il est proposé que ceux-ci bénéficient de grandes flexibilités pour désigner 5,3% à 8% de produits sensibles, contre 4 à 6% pour les pays développés. Il est en outre proposé que l'éligibilité au droit de désigner des produits sensibles par les pays en développement ne soit pas nécessairement indexée à la gestion préalable de contingents tarifaires. Pour les produits spéciaux (produits agricoles que les pays en développement déclarent être particulièrement importants sur le plan de la sécurité alimentaire et du développement rural, ndlr), il est proposé que les pays en développement utilisent une approche hybride de désignation de produits spéciaux; soit par décision souveraine dans une proportion de 8% et en ayant recours aux indicateurs définis par le G33. Quant au traitement, il pourrait se faire par le biais d'une approche étagée à deux fourchettes : la première couvrirait 6% de lignes tarifaires avec un abaissement de 8% ou de 15%, et la seconde fourchette qui couvrirait 6% de lignes tarifaires se verrait appliquer un abaissement de 12% ou de 25%. Ou alors, il est proposé d'avoir en sus 8% des lignes tarifaires exemptées de tout abaissement.

N.V. : Il existe cependant une divergence interne sur le mécanisme de sauvegarde spéciale.
G.A.G. : A propos du mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS), je préciserai que c'est un mécanisme de protection des économies nationales contre l'implosion de certaines importations en valeur ou en raison des prix. Les divergences sur le mécanisme tant entre les membres de l'OMC qu'au sein des pays en développement portent sur la couverture des produits et le niveau des mesures correctives. Le déclenchement de la mesure corrective peut-il aller au-delà des taux consolidés de l'Uruguay Round? Faute de consensus sur ces questions, les décisions applicables au MSS incomberont aux ministres dans la phase du processus horizontal. Concernant le second pilier des négociations sur l'agriculture, en l'occurrence le soutien interne, j'indiquerai que lors du cycle d'Uruguay, les pays membres avaient accepté de réduire le soutien aux agriculteurs qui fausse les échanges de 20%. Dans le contexte du cycle de Doha, l'objectif est de parvenir à des réductions substantielles du soutien ayant des effets de distorsions des échanges (SGEDE). L'ensemble des soutiens internes ayant des effets de distorsions des échanges est regroupé selon les différentes catégories: les mesures de la boîte orange (la MGS ? mesure générale de soutien), les mesures de la boîte bleue ainsi que le soutien de minimis, et les mesures de la boîte verte. Il est proposé à l'Union européenne qui a son Ensemble de soutien interne ayant des effets de distorsions des échanges (SGEDE) supérieur à 60 milliards de dollars, de procéder à une réduction de 75 à 85%. Le groupe africain est favorable à une réduction de 85%. Il est proposé pour les Etats-Unis et le Japon une réduction entre 66 et 73%, eux qui ont en ce qui les concerne un niveau de leur SGEDE compris entre 10 et 60 milliards de dollars. Pour l'Afrique, les Etats-Unis ne devraient pas excéder 13 milliards de dollars de niveau de la SGEDE, soit une réduction de 73%. Les autres pays qui ont un niveau de leur SGEDE de 10 milliards de dollars environ réduiront de 50 à 60%. Toujours sur le pilier du soutien interne, de nouveaux développements sont à noter, précisément autour de la boîte bleue et de la boîte verte. En effet, il est proposé que les pays en développement qui n'ont pas de tradition historique d'engagement bénéficient d'une éligibilité.

N.V. : Quelle est la particularité du troisième pilier ?
G.A.G. : Le troisième pilier concerne les subventions à l'exportation. Mais dans le cadre de notre entretien, je mettrai l'accent sur l'aide alimentaire et les crédits à l'exportation. Il a été proposé, et admis par tous, la catégorisation de l'aide alimentaire en situation d'urgence, ou catégorie sûre assortie de disciplines précises, et l'aide alimentaire en situation de non urgence assortie également de disciplines. Il subsiste entre les pays membres, y compris entre les pays du groupe africain, des divergences portant sur la monétisation ou non, ou à tout le moins les conditions de la monétisation de l'aide non d'urgence. Pour les crédits à l'exportation, l'aspect le plus important des négociations sur ce thème a porté sur les périodes de remboursement accordées aux pays en développement, et les pays développés, importateurs nets de produits alimentaires (PINDA) en ce qui concerne l'acquisition de denrées alimentaires. Le groupe africain propose 360 à 540 jours en période normale et 540 à 720 jours dans des circonstances exceptionnelles. Ill a reçu l'appui des autres pays en développement, en particulier les pays émergents. Certains pays développés se sont montrés quant à eux réservés sur l'extension de ces délais.

N.V. : La question du coton est-elle toujours au centre des divergences entre le Nord et le Sud ?
G.A.G. : Dans le cadre de l'initiative sectorielle en faveur du coton initié en 2003 par le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad constituant le C4, soutenu par le reste du groupe africain, les membres de l'OMC ont décidé de traiter le coton de manière ambitieuse, rapide et spécifique dans le cadre des négociations agricoles. Les Etats membres ont également décidé d'observer la cohérence entre l'aspect commerce et l'aspect développement du coton. Ces mandats sont consignés dans l'Accord-cadre et dans la Déclaration ministérielle de Hong-Kong.
La proposition du C4 endossée par le président du comité de négociation sur l'agriculture et soutenue par l'Afrique se décline en quatre étapes. Premièrement : application d'une formule de réduction des soutiens internes de la boîte orange accordée au coton. Deuxièmement : fixation d'un plafond spécifique pour les soutiens de la boîte bleue accordé au coton qui sera le tiers de ce qui résultera de la méthodologie proposée par le président. Troisièmement: application d'une dissidence supplémentaire d'un rapport de 2 pour 1 concernant l'accroissement des soutiens de la boîte bleue résultant de la boîte orange. Quatrièmement: élimination de toutes les formes de subvention à l'exportation accordées au coton par les pays développés, dès le premier jour de la période de mise en oeuvre et à la fin de la première année de la période de mise en oeuvre pour les pays en développement. Le groupe africain, par ma modeste voix, a par ailleurs appuyé la proposition visant l'octroi d'une assistance technique et financière aux pays africains producteurs de coton d'une part et plaidé pour la mise en place d'un filet de sécurité pour gérer les pertes de revenu d'exploitation consécutives aux fluctuations des prix.

N.V. : Excellence, outre l'agriculture, les produits industriels constituent également des éléments d'enjeux importants
G.A.G. : Au sortir du cycle d'Uruguay, les pays développés ont baissé leurs droits de douanes moyens de 6,3 à 3,8%. Cependant, le cycle d'Uruguay par rapport au niveau d'ambition a généré des abaissements moyens. Les pays étaient libres de choisir les produits pour lesquels les droits seraient réduits et ceux pour lesquels les droits resteraient élevés. Il en a résulté le maintien des droits élevés, les coûts tarifaires et la progressivité des droits.
S'agissant des pays en développement, leur contribution majeure s'est réalisée sous la forme de nouvelles consolidations tarifaires à des plafonds qu'ils se sont engagés à respecter.
Dans le cadre du nouveau cycle de négociation, la portée, la prise en compte des besoins et intérêts spéciaux des pays en développement et des PMA, y compris la mesure du Traitement spécial différencié (TSD) d'une réciprocité qui ne soit pas totale pour ce qui est des engagements de réduction, ont été consignés dans la Déclaration ministérielle de Doha. Quant à l'annexe B de l'Accord-cadre de juillet et l'annexe B de la Déclaration ministérielle de Hong-Kong, ils définissent le cadre pour l'établissement de modalités concernant l'accès aux marchés pour les produits non agricoles (AMNA), c'est-à-dire la réduction des obstacles tarifaires et non tarifaires, bien que de nombreux pays en développement, en particulier les petites économies, manifestent des craintes sur les pertes de recettes tarifaires (fiscalité de porte), sur l'affaiblissement éventuel de leur compétitivité et sur l'érosion de leurs préférences par rapport à d'autres pays en développement NPF et concurrents.



Interview réalisée par J-S Lia

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