samedi 17 mai 2008 par Notre Voie

Lecteurs miens, Allah sako, an sako ! (Que la volonté de Dieu soit toujours notre volonté !). Il était une fois le pronom il, mis pour le Professeur Harris Memel Fotê, désormais Feu le Professeur Harris Memel Fotê qui a quitté notre bas monde (qui l'a vu naître en 1930 à Mopoyem, dans la sous-préfecture de Dabou) pour rejoindre dans les cieux d'autres divines et immenses intelligences, et d'autres perfectionnistes intellectuels. Depuis son départ dans la nuit du Samedi 10 au Dimanche 11 Mai 2008, jour de la Pentecôte (mot qui signifie que la fête célébrée ce jour-là a lieu cinquante jours après Pâques), un vent de deuil souffle sur notre pays. Comme en témoigne la pluie d'hommages sur lui versée par les intellectuels, ces gens des idées, ces gens qui savent. Ils s'appellent Kotchy Barthélemy, Christophe Wondji, Yacouba Konaté, Bernard Zadi Zaourou, Laurent Gbagbo, Séry Bailly, Voho Sahi, Gnagne Yadou Maurice Pour tous, Harris Memel Fotê était (le) Maître. Cette appellation, dite autrement, fait de Memel, le Maître de ceux qui savent pour reprendre l'expression fort juste de Dante qualifiant ainsi Aristote (384-322 av. J.C). Sous nos cieux locaux, tous ces intellectuels cités supra sont à Memel, ce que fut Aristote (l'élève) à Platon (le maître, 427-347 av. J.C). Lire avec fruit le témoignage du philosophe français Roger- Pol Droit sur les deux champions (Platon/Aristote) de l'éternel combat entre idéalisme et réalisme, les plus modernes des philosophes, in Le Point n° 1611 du 1er Août 2003, pp. 54-60 et son article intitulé Aristote et Monsieur Jourdain, in Le Monde du 19/08/1988. Ah, lecteurs miens lônni ka di (le savoir est doux).

1/- Faire le deux Un (dit l'Evangile de Thomas)

Sur le schéma phonétique de son identité onomastique où chaque segment nominal (ou appellatif) contient deux syllabes et pas plus (cf. Ha- ris, Me-mel, Fo- tê), l'homme était deux en un. Il était à la fois un homme grand et un grand homme. Que de nuances silencieuses et d'élégance ! Il avait certes la tête pleine et aérée dans un ciel où n'accèdent que les yeux de l'âme et de l'esprit mais il avait aussi les pieds fermement dans le peuple, ses cultures et ses traditions ancestrales. Chercheur et enseignant (car il enseignait ce qu'il explorait) il était à la fois théoricien et pragmatiste voire très ouvert aux observations du terrain. Ses prises de parole portaient du reste l'empreinte du terrain où la pensée et l'action se suivent et vont comme deux gendarmes à moto, l'un pour surveiller l'autre. Libre penseur et penseur libre, Memel enseignait qu'avant de construire et de systématiser quoique ce soit, il faut d'abord et avant tout interroger le terrain (ou contexte), y explorer toutes les pistes, comprendre comment les faits y naissent, s'enchaînent dans leur évolution et disparaissent. Ainsi vérifie-t-on avec lui que dans l'univers des hommes, les évènements sont toujours mystérieusement reliés entre eux (cf. Elie Wiesel, Le Temps des déracinés , Seuil, Paris, 2003, p.37). Fondamentalement Memel était autant quantité et qualité que forme et fond (cf. son curriculum vitae ou CV de plusieurs pages et ses juteuses publications scientifiques avec comme pôles de référence : Le système politique de Lodjoukrou. Une société lignagère à classes d'âge, Côte d'Ivoire (publié en 1980) et L'esclavage dans les sociétés lignagères de l'Afrique noire. Exemple de la Côte d'Ivoire pré-coloniale, 1700-1920 (publié en 1989). Ah, Memel i ni tché ! (Merci, Maître).

2/ - Penseur multiple et du multiple, Memel ne pouvait être que l'inverse du dogmatique.

Comme son collègue de référence en ethno-sociologie, Claude Levy-Strauss, Harris Memel Fotê aimait la Linguistique, cette science des langues et du langage qui a fait ses preuves et dont il empruntait avec bonheur les outils d'analyse. Depuis l'apparition de la linguistique, avec le genevois Ferdinand de Saussure, une science ne se définit plus seulement par son objet d'étude, elle se définit aussi et surtout par le type de questions que l'on se pose sur cet objet. Ainsi conseille - t-elle d'étudier tout système ou toute société de l'intérieur et non de l'extérieur où bien souvent on sait déjà à l'avance ce qu'on veut y trouver.
Enfin, par la science linguistique, l'on sait désormais que pour savoir les différences entre les faits ou phénomènes, il faut traquer les ressemblances. Harris Memel Fôtê savait tout cela. Il savait que tout est dans le langage et était par conséquent grand défenseur de nos langues nationales et militant de leur introduction dans le système éducatif formel. Comme Leibniz, il disait que la langue est le plus beau monument que peut bâtir le peuple. N'est-ce pas qu'on peut déterminer l'essor ou le déclin d'un peuple rien qu'en creusant assez profondément les mots que ce peuple, emploie pour y rencontrer la vérité inventée par leurs ancêtres les plus lointains, les plus obscurs (cf. Elie Wiesel, idem, 2003, pp. 71-72). Par observation et par expérience le (jeune) linguiste que je suis peut affirmer que le professeur Harris Memel Fotê était certes un homme des idées, mais il était aussi un homme des faits, un penseur pluriel et du pluriel, ouvert, prudent et point dogmatique. Ce ne fut pas un hasard (pour moi) de voir le professeur Memel se soumettre avec humilité aux lois du langage. Comme Aristote. Il savait que parler a toujours été et demeure une entreprise périlleuse. Ceux qui ont eu son sublime et pédagogique commerce savent que sa parole était pesée, travaillée et sans emphase. Elle était en fait sous contrôle. Ses silences aussi. Profonds et étonnants, ils étaient ses silences significatifs. Et dans les échanges Memel s'en servait souvent comme conclusions laissant ses interlocuteurs faire le reste du chemin qu'il pensait avoir suffisamment déblayé. Ah, lecteurs miens, lônni ka di ! (Que c'est bon d'être instruit !).

3/- Ce que Harris Memel Fotê nous laisse

Sur ce chemin de la connaissance et du savoir, l'on découvre et retient de cet éveilleur et ouvreur d'esprit son humilité et sa simplicité, son rapport sain à l'argent (Memel, c'est l'incorruptible, a dit le Professeur Emmanuel Terray, son collègue), son effort patient et sa sérénité, sa quête permanente de la vérité et du vrai, dans un monde où prospèrent sans gêne le faux, le mensonge, le mal. A méditer.
Celui qui, parmi nous, se rapproche le plus de ces valeurs (trop souvent oubliées), c'est bien Laurent Gbagbo, l'historien devenu Président de la République. Ce qui permet à l'imagination et à la pédagogie d'être au pouvoir. Et dire que ces deux grandes figures qui symbolisent deux attitudes d'ensemble envers le savoir et la politique, la démocratie et la liberté, sont des militants du Front Populaire Ivoirien (FPI), le parti d'avant-garde, le parti où les membres se réunissent autour des idées et non autour de l'argent de quelqu'un. De quoi faire rougir dans les chapelles politiques adverses Ah, Memel, i ka FPI soutara, Allah ye i sara ! Ah Memel, tu as bien veillé sur l'image du FPI. Que Dieu te récompense!
Pour conclure provisoirement, pastichons le philosophe Roger-Pol Droit, Ah, si chaque (intellectuel) ivoirien pouvait faire de l'Harris Memel Fotê comme Monsieur Jourdain faisait la prose !
Avec ce décès, chacun de nous comprend une fois encore que de notre compagnonnage avec la mort il nous faut retenir la certitude suivante : elle aura toujours le dernier mot. Le seul mot que nous pouvons opposer à ce dernier mot (et Memel l'a si bien compris), c'est le nom que nous portons. Ce nom qui entre dans l'Histoire est ce qui est immortel dans la vie. C'est pourquoi le nom du grand homme, du penseur multidimensionnel que fut Harris Memel Fotê restera, vivra même après nous. Merci Maître. Merci en Dieu. Adieu !

Koné Dramane direbien@live.fr

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