vendredi 13 juin 2008 par Le Patriote

Deux responsables politiques du Parti socialiste français, Jack Lang, député du Pas-de-Calais, ancien ministre, et Jean-Marie Le Guen, député de Paris, ont, voici quelques semaines, passé plusieurs jours en République de Côte d'Ivoire. Les médias ont retenu de ce séjour la visite organisée? dans un des points chauds? de la capitale, la rue Princesse à Yopougon, quartier populaire d'Abidjan.
Mais, ce n'est là que l'aspect anecdotique de cette visite. Car si on fait l'impasse sur sa dimension politique, on passe à côté de l'essentiel.
Que Lang et Le Guen fassent du tourisme en Côte d'Ivoire n'a en soi rien de répréhensible. Au contraire, la Côte d'Ivoire étant un pays ouvert, avec une longue tradition d'hospitalité, ne peut que s'honorer de la visite d'éminents hommes politiques venus de l'hexagone. Ce qui est problématique en revanche, c'est à la fois, la démarche et le message politique que tentent de délivrer ces deux visiteurs. Dans un contexte qui est celui de l'attente d'élections générales maintes fois repoussées, le discours de ces deux députés socialistes tente de présenter la Côte d'Ivoire sous un jour avenant qui occulte la souffrance et la détresse profonde dans lesquelles la gestion du régime Gbagbo a plongé le peuple ivoirien. Fruit d'élections calamiteuses (pour reprendre sa propre formule), le régime de Laurent Gbagbo parce qu'il a endossé les politiques d'exclusion générées par la dérive ethnonationaliste de l'ivoirité a heurté et continue de heurter la sensibilité de tous les démocrates à travers le monde.
Depuis plus de dix ans, les démocrates et les militants des droits de l'homme en Côte d'Ivoire sont confrontés à l'ostracisme, l'exclusion, la répression et à la violation de leurs droits.

Les milices des Jeunes Patriotes? les escadrons de la mort?

A tout cela, il faut ajouter les exactions menées par les amis et autres soutiens du régime : Les assassinats, le pillage, les viols, sont ainsi le lot quotidien de la grande masse de la population considérée, dans sa globalité, comme opposée au régime. A côté de ces violations quotidiennes des droits de l'homme, ce régime se caractérise aussi par sa mauvaise gestion de l'économie ivoirienne comme en témoignent le scandale du Probo Koala, les détournements de fonds quotidiens, les malversations, la corruption, les magouilles de toutes sortes, et on semble l'oublier souvent, les achats massifs d'armements ainsi que le recrutement de mercenaires.
Les Ivoiriens vivent aujourd'hui les pires épreuves que le pays ait jamais subi depuis son accession à l'indépendance en 1960. Des épreuves que leur infligent non pas des coloniaux? ou des impérialistes?, ou une puissance étrangère? quelconque, mais ceux qui se disent leurs propres dirigeants, se réclament de la légitimité et de la légalité que leur aurait donné une élection dont chacun sait qu'elle n'a été qu'une gigantesque escroquerie intellectuelle.
Alors que les démocrates et les militants des droits de l'homme, dans un contexte qui demeure particulièrement fragile, tentent de faire aboutir le processus de paix et de réconciliation enclenché d'abord par la France, dans le cadre des accords de Marcoussis, puis le président de la République du Faso, dans le cadre de l'accord de Ouagadougou, l'Association pour la défense de la démocratie et des libertés (ADDL) entend poser aux responsables socialistes français une question : quel est l'objectif du jeu trouble et pervers que sont venus jouer, en Côte d'Ivoire, J. Lang et J.M Le Guen?
J. Lang et J.M Le Guen veulent-ils faire passer le message : Tout baigne en Côte d'Ivoire, L. Gbagbo maîtrise parfaitement la situation et les populations, y compris les classes populaires, donc, on peut s'adonner à la danse et à la fête puisque un avenir radieux est devant nous?
Lang et Le Guen veulent-ils faire passer le message que la réélection de Gbagbo est une chose tellement acquise que l'actuel chef de l'Etat s'est lancé dans un vaste chantier urbain à Yamoussoukro (chantier longuement visité par Lang et Le Guen)?
Lang et Le Guen veulent-ils faire passer le message que l'action politique de Gbagbo s'inscrit dans la continuité de l'action politique de Félix Houphouët-Boigny puisqu'il reprend, dans la ville natale de celui-ci, les chantiers qui y avaient été abandonnés depuis de longues années?
Lang et Le Guen veulent-ils faire passer le message que le drame vécu ces dernières années par les Ivoiriens, sous le régime des refondateurs, est non pas la responsabilité d'une politique d'exclusion dite de l'ivoirité? mais celle d'une France coloniale? qui a entrepris une gigantesque manipulation? pour mettre en accusation L. Gbagbo?
Lang et Le Guen veulent-ils faire passer le message que Laurent Gbagbo et le Front populaire ivoirien (FPI) sont de dignes représentants de l'Internationale socialiste et que ceux qui disent le contraire sont, depuis, passés dans le camp de la droite française?
L'Association pour la défense de la démocratie et des libertés (ADDL) attend des responsables socialistes français des réponses à ces questions.
Nous nous souvenons des propos d'Eric Besson qui disait qu'il fallait appeler un chat un chat : pour moi, Gbagbo est un dictateur?. Besson est aujourd'hui passé dans le camp de Nicolas Sarkozy mais, à l'époque, ses propos étaient partagés par un grand nombre de cadres socialistes. Manuel Valls avait alors soutenu son camarade?. Il n'était pas le seul : à la fin de l'année 2004, dix élus socialistes, dont Arnaud Montebourg et Catherine Trautmann, avaient signé un appel : Gbagbo doit partir? parce qu'il propage la haine de l'autre?, parce qu'il organise la terreur?, parce qu'il relance la guerre au mépris des innombrables efforts de la communauté internationale?. Ils réclamaient que le Front populaire ivoirien (F P I) soit exclu de la IIème Internationale dans les meilleurs délais?. Lors d'une réunion du bureau national du PS, François Hollande avait jugé que Gbagbo était infréquentable?.

Lang et Le Guen
ont-ils la mémoire courte?

Faut-il tirer (et au nom de quels intérêts) un trait sur le bilan du régime Gbagbo:
La guerre civile, l'effondrement d'une des économies les plus florissantes du continent et la montée en puissance d'une économie mafieuse, l'exclusion et la misère, le musélage de la presse et des médias, la répression des démocrates et des militants des droits de l'homme, etc. ?
Faut-il affirmer, avec Lang et Le Guen, que les dénonciations des exactions du régime Gbagbo n'ont été qu'une manipulation de l'opinion? orchestrée par une partie de la communauté internationale et singulièrement la France??
Faut-il réclamer, avec Lang et Le Guen, la création d'une commission d'enquête pour que la lumière soit faite sur les événements de Bouaké??
Que Lang et Le Guen soient des amis? de Gbagbo, c'est leur problème. Mais il est pour nous, Ivoiriens, démocrates, militants des droits de l'homme, inacceptable d'entendre Gbagbo être qualifié de bâtisseur?, lui qui a tellement détruit, de patriotes?, lui qui a fait de la Côte d'Ivoire un cimetière pour de nombreux Ivoiriens, un vrai homme de gauche qui a le sens de la solidarité?, lui qui a exclu, réprimé, bâillonné, assassiné, etc., un homme qui a le sens de l'Etat?, lui qui a transformé l'Etat en marché du Temple? et le service de l'Etat en service personnel.
Nous, Ivoiriens, démocrates et militants des droits de l'homme, n'oublions pas que c'est la France, qui en intervenant sur le terrain dès le déclenchement des affrontements, a empêché le pire, la France qui s'est investie sans relâche depuis près de six ans dans le maintien de la paix, la France qui a payé le prix fort, non seulement financier mais humain, pour accomplir cette tâche, la France qui, à travers les Français de Côte d'Ivoire, a été victime des exactions des milices patriotiques? et autres escadrons de la mort qui ont pillé les biens des Français, violé des femmes et des jeunes filles françaises, etc.
Parce que nous avons vécu au quotidien ces jours difficiles, nous ne pouvons accepter l'indécence des propos et du comportement de deux représentants du Parti socialiste français dont les instances officielles ont dit, quand il fallait le dire, ce qu'elles pensaient de Gbagbo et de son régime : infréquentable?. Sauf, sans doute, pour aller baguenauder à la rue Princesse.
Adama Diomandé
Président de l'ADDL

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