jeudi 17 juillet 2008 par Nord-Sud

Abdoulaye Diallo, l'un des trois réalisateurs du film documentaire Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo, a profité du festival Ciné droit libre (du 10 au 13 juillet au Goethe), pour se confier à Nord Sud Quotidien. ?Qu'est-ce qui vous a amené à réaliser un film-documentaire sur la mort de Norbert Zongo? Je précise que Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo est une co-réalisation avec Luc Damiba. Boribana est une expression empruntée à Norbert Zongo qui l'a lui-même utilisée dans son premier éditorial. Lui aussi l'a empruntée à Samory Touré qui, traqué par le colon à un moment donné, a fait son camp et a dit que ce serait le dernier. Dans la vie d'un homme, il y a un temps pour fuir et il y a un autre pour s'arrêter et affronter son destin. Donc Boribana, la fuite est terminée. Norbert Zongo a exercé dans plusieurs journaux. quand il a crée L'indépendant, il a dit Boribana car il a estimé que c'est dans ce journal qu'il allait affronter son destin. Et c'est à cause de ce journal, qu'il a été assassiné. Nous avons été touchés par cela et avons pensé que cela pourrait être le titre du film. ?Savait-il qu'il allait vers sa fin C'est vrai, il y avait une sorte de prémonition. Je crois qu'il savait que le travail qu'il faisait l'exposait à des risques comme il l'a dit une fois dans un de ses éditoriaux. Il n'a jamais répondu à la question : Dois-je continuer ou m'arrêter? Il a continué, ce que les marins appellent l'appel du large. Dans les mois qui ont précédé son assassinat, il se savait vraiment en danger. ?Est-ce qu'il était possible pour Norbert Zongo de se rétracter avec ses idées ? C'est ça le plus dur. Ce n'est pas qu'il savait avec certitude qu'il allait être tué. Mais il avait plutôt la certitude que pour son engagement, on pouvait le tuer. C'est ça le piège quand on est prisonnier de la vérité. Parce qu'à un moment donné, tout le monde attendait le journal. Il était conscient du danger, mais il n'était pas lâche. Les gens ont compris qu'ils ne pouvaient pas l'intimider. Chacun a son degré de courage. ?Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées dans la réalisation de ce film ? Je n'aime pas trop souvent parler de difficultés. Parce que quand on est intelligent, on doit déjà prévoir les difficultés et travailler à les contourner. C'est ce que nous avons fait dans le cadre de ce film. Et nous avons vraiment travaillé à contourner les difficultés. Et comme on les a contournées, on ne les a pas rencontrées. Le seul fait qu'on peut souligner c'est qu'on a essuyé une fin de non recevoir de la part du gouvernement. Le ministre de la Justice a refusé de parler ainsi que le juge d'instruction. S'il y a quelque chose qui manque dans ce documentaire, ce pourrait être cela. Au plan financier, nous avons commencé à tourner ce film par nos propres moyens. En revanche ce qui nous a aidés c'est qu'on n'était pas fichés comme des réalisateurs. Et ceux qui savaient que c'était un film n'y croyaient pas trop. Le résultat a surpris beaucoup de personnes. ?Reporter sans frontières a-t-il joué un rôle prépondérant dans cette réalisation ? Ils nous ont donné des archives. Reporter sans frontières (Rsf) est intervenu vraiment à la fin du film pour nous aider à confectionner des affiches, à faire la promotion du film. ?Comment avez-vous procédé pour faire parler les témoins ? L'un des témoins oculaires que nous avons rencontré a refusé de se faire filmer. C'est son droit. Il veut protéger sa vie parce qu'il a été témoin d'un assassinat qui a quand même ébranlé le pays. Par contre, il a donné toutes les informations sur ce qu'il a vu. ?Pourquoi malgré toutes les pressions, la lumière n'a pas encore été faite sur cette affaire ? C'est une question de droit qui n'est pas résolue. C'est un assassinat, un crime d'Etat. Ce sont des gens du pouvoir qui ont assassiné Norbert Zongo. Or c'est ce pouvoir qui maîtrise aussi la justice. Et ils ne vont jamais scier la branche sur laquelle ils sont assis. Je pense que c'est cela le fond du problème. ?L'artiste Aïcha Koné avait été citée dans cet assassinat. Dans la réalisation du documentaire, avez-vous eu des témoignages dans ce sens? Vous savez, c'est une rumeur, une information qui n'est pas étayée par des preuves et nous ne pouvons pas l'utiliser parce que nous ne savons pas réellement à qui était destiné l'argent. Ce sont des gens qui disent, que Aïcha Koné serait proche de François Compaoré, le petit frère du président. Il y a des tracts qui ont circulé sur la question à Ouagadougou, mais nous n'avons aucun élément pour étayer cela et nous ne pouvons pas l'utiliser dans le film. Ce sont des rumeurs et on ne peut pas parler de rumeurs dans un film. ?Avez-vous cherché à vérifier ? L'artiste vient régulièrement à Ouagadougou. Mais compte tenu des événements et du fait que son nom a été cité dans cette affaire, elle ne venait plus à Ouagadougou. Je crois que ces dernières années elle a recommencé à venir dans la capitale Burkinabé. ?En regardant l'assassinat de Norbert Zongo, ne peut-on affirmer qu'il y a des risques d'être journaliste en Afrique ? Même sans l'assassinat de Norbert Zongo il est dangereux d'être journaliste en Afrique. Mais un journalisme particulier, pas n'importe lequel. Si vous rapportez des séminaires, des ateliers, des propos recueillis, vous ne dérangerez personne. Dans ce cas, vous serez encensé. Mais le jour où vous vous avisez d'aller fouiller dans des affaires comme la filière café-caco ici en Côte d'Ivoire, vous devenez un élément dangereux. Si vous enquêtez sur les escadrons de la mort ou les détournements en Côte d'Ivoire, vous devenez un journaliste dangereux. Et c'est pareil partout en Afrique. Le métier de journaliste est un métier périlleux qui met votre vie en danger. ?Avez-vous espoir que la lumière sera faite sur la mort tragique de Robert Zongo ? Je suis obligé de garder espoir, je suis obligé de me battre pour cela. C'est une question de principe. ?Allez-vous faire des recherches dans d'autre pays. Par exemple un documentaire sur la crise ivoirienne? Les 3 amis qui ont réalisé Boribana ont déjà réalisé un film sur la Côte d'Ivoire qui s'appelle Télé guerre et qui parle de la chaîne de télévision en zone ex-rebelle. Nous sommes déjà dans cette dynamique. Nous sommes en train de travailler sur un autre projet appelé Empire corruption, c'est un film qu'on a fait sur plusieurs pays d'Afrique et d'Europe pour voir les gens qui résistent à la corruption. Ce sont des exemples qu'on voudrait donner à tout le monde. C'est une question de moyens et de disponibilité parce qu'un film coûte quand même cher. Je viens de faire un documentaire sur le Bembeya Jazz de Guinée. Vraiment nous sommes ouverts, nous ne sommes pas limités au Burkina Faso. Interview réalisée par Issa T.Yéo

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