Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bédié : Qui a su mieux tirer profit de la plate-forme de conquête du pouvoir créée à Paris ? Les militants commencent à s'interroger.
Dans les cordes. S'il s'agissait d'un combat de boxe, c'est ainsi que l'on présenterait la situation des houphouétistes face à Laurent Gbagbo. Après l'avoir déclaré gagnant au premier tour, le sondage de TNS Sofres vient de souligner que le chef de l'Etat arriverait également en tête au deuxième tour quel que soit celui des deux principaux leaders du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) qu'il aura à affronter. Sur ce sombre tableau, le président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci) et celui du Rassemblement des républicains (Rdr) ne sont pas logés à la même enseigne. Le premier, Henri Konan Bédié, devrait être défait à 48% contre 52%. Là où le second, Alassane Dramane Ouattara n'engrangerait que 42% des suffrages contre 58% pour l'adversaire commun.
Situation avant la création du Rhdp
Ceux des militants de ces deux formations qui accordent du crédit aux chiffres de l'institut français s'interrogent : En fin de compte, leur candidat aura-t-il été bénéficiaire ou victime de son appartenance à la plate-forme. Pour le savoir, il faut avant tout se souvenir de l'état dans lequel se trouvait chacun des deux opposants et sa formation avant la création du Rhdp le 18 mai 2005 à Paris.
Le Pdci dont le patron a émis quelques réserves, selon des sources bien informées avant d'accepter l'idée du Rassemblement était à l'époque agonisant sur les bords de la lagune ébrié. Chassé du pouvoir en 1999, Henri Konan Bédié poursuivait son exil français. Derrière lui, au pays, des querelles de leadership et de convoitise plaçaient sa formation au bord de l'implosion. En termes d'image, le parti doyen jouissait certainement de beaucoup moins de crédit qu'aujourd'hui. Son leader, présenté par les adversaires comme celui qui a abandonné la patrie au chaos pour fuir à l'étranger était chargé de tous les maux. Sa crainte comme l'écriront plusieurs journaux était qu'Alassane Ouattara en exil aussi (mais qui avait toujours ses entrées au pays) ne soit en réalité le seul bénéficiaire de l'union sacrée.
Certes, le mentor des républicains avait beaucoup à y gagner. Sa situation, à l'époque était loin d'être meilleure que celle de son aîné de l'ancien parti unique. Présenté par ses adversaires comme le vrai père de l'ex-rébellion, ADO jouissait, il faut l'avouer d'une très mauvaise presse. Sa formation taxée de fournisseur de combattants aux Forces nouvelles gardait encore cette image de parti violent et peu respectueux de l'ordre républicain. Des grosses taches dont les deux formations avaient besoin de se débarrasser pour espérer retrouver une place de choix dans les c?urs de leurs compatriotes.
Bédié, grand frère et leader
Peut-être, justement conscients de ces enjeux, ADO et Bédié signeront après y avoir associé deux autres alliés (Udpci et Mfa), la plate-forme des houphouëtistes pour la conquête du pouvoir. Celle-ci a l'avantage de proposer une nouveauté, une alternative aux Ivoiriens et d'afficher clairement que les deux hommes ont choisi de prendre leurs distances avec toute opposition armée. En face, il y avait un Laurent Gbagbo sorti quelque peu affaibli des turbulences de novembre 2004. Notamment la tentative de reconquête militaire de Bouaké par ses troupes qui s'est soldée par la mort de 9 soldats Français, le bombardement de toute la flotte ivoirienne en réplique, les violents affrontements et le départ massif des français. Le Rhdp était donc une carte jouable. Consubstantiellement ouvert à tous ceux qui partagent les valeurs de l'houphouëtisme, il prône surtout la paix, l'union, la démocratie et la bonne gouvernance, des valeurs chères au peuple meurtri. Mais, une fois la machine lancée, chacun des deux principaux leaders poussera ses pions dans le sens qui, nous le pensons, aura finalement abouti au résultat donné par le sondage de TNS Sofres. Comme dans toute union, dès sa création, un leadership devrait s'affirmer au sein du Rhdp. Bédié s'est presque naturellement attribué se titre. Certainement soucieux de contenter celui qu'il a eu quelques difficultés à convaincre de s'associer à lui, ADO observe. Les houphouëtistes se reconnaissant en un père et cultivant l'idée d'une famille, Bédié avec son passé de dauphin constitutionnel du père de la nation pouvait-il être à la queue ? Ainsi, le 17 août 2006 c'est au c?ur de ses quartiers à Daoukro que le G7 (autres plate-forme des partis signataires de Marcoussis où l'on retrouve l'opposition civile et militaire) tient sa réunion extraordinaire. Objectif : procéder à l'analyse approfondie de la situation sociopolitique nationale, à la lumière des graves évènements survenus lors des audiences foraines à Abidjan, Grand-Bassam, Divo, Oumé
ADO, la stratégie du second ?
Implicitement, c'est Bédié le repère, disent les observateurs après cette rencontre. A Abidjan, d'autres réunions du Rhdp se tiennent également à la résidence du sphinx à Cocody. Sa position d'aîné que ne cesse de rappeler Ouattara contribue fortement à conforter ceux qui voient en Bédié le leader du Rhdp. A la création du poste de président du directoire de la plate-forme, celui-ci a échu presqu'automatiquement au Pdci dont le secrétaire général en est devenu l'icône aujourd'hui. Ce rôle en principe tournant est très bien exploité par le parti doyen qui se sera donc positionné dans les esprits comme l'opposant principal au régime.
Malgré tout, si le Rdr demeure au Rhdp, c'est bien parce que le parti de Ouattara y trouve son compte. En plus d'avoir réussi grâce à ce rapprochement avec Bédié à rendre moins antipathique l'image de son parti, le parti de la rue Lepic se fait moins voir en mettant le Rhdp au devant des combats. Pour l'instant, telle semble être le seule dividende qu'il récolte du rapprochement. Un choix qui s'inscrit peut-être dans une stratégie globale de conquête de pouvoir qui, il faut l'avouer tarde à faire voir ses fruits. L'on entend dire Patience!.
Djama Stanislas