vendredi 6 novembre 2009 par Le Nouveau Réveil

Le Conseil constitutionnel a donc décidé de soumettre tous les candidats à l`élection présidentielle du 29 novembre aux mêmes conditions d`éligibilité en exigeant qu`ils fournissent les pièces, ci-après, en complément de leur dossier : l Une déclaration personnelle de candidature revêtue de la signature du candidat ; l Une lettre d`investiture du ou des parti(s) politique(s) qui parraine(nt) la candidature, s`il y a lieu ; l Le reçu de cautionnement de vingt millions (20 000 000) de francs CFA ; l Un extrait de naissance du candidat ou le jugement supplétif en tenant lieu ;
l Une attestation de régularité fiscale ou tout autre document permettant de s`acquitter de ses impôts. Cette décision est motivée ainsi qu`il suit: "considérant que le respect du principe de l`égalité devant la loi prescrit par la constitution du 1er août 2000, en ses articles 13 et 30 et, de manière particulière, le principe d`égal accès aux fonctions publiques électives prévu par la déclaration universelle des Droits de l`Homme du 10 décembre 1948 en son article 21, point 2 et la Charte Africaine des Droits de l`Homme et des Peuples du 28 juin 1981, en son article 13, point 2, auxquelles le peuple ivoirien a solennellement adhéré à travers le préambule de sa constitution, impliquent de ne pas traiter différemment les personnes placées dans une situation identique; qu`il convient dès lors, de soumettre tous les candidats aux mêmes conditions d` éligibilité..."
Avant d`examiner cette décision au fond, il convient de s`interroger sur sa forme notamment en ce qui est de la procédure mise en ?uvre en matière d`examen des dossiers de candidature à l`élection présidentielle. En la forme: de la procédure d`examen des dossiers de candidature par le Conseil constitutionnel Au plan rédactionnel, la décision du Conseil constitutionnel ne manque pas de surprendre par sa singularité. En effet, la rigueur à laquelle l`on est en droit de s`attendre dans la motivation des décisions de cette grande Institution fait cruellement défaut.
Ce qui est regrettable quand on sait qu`elle nous avait habitué à des décisions, certes contestables, mais mieux motivées. On est, en outre, frappé par le style adopté qui sied lorsque le Conseil constitutionnel donne son avis sur la constitutionnalité d`une loi ou la conformité d`un engagement international à la constitution. En pareille matière, le Conseil constitutionnel peut faire appel à toutes les normes, internes ou internationales, susceptibles de justifier son avis.
Mais lorsqu`il s`agit de faire application d`un ou des textes de droit interne à des personnes, il n`y a vraiment pas lieu de recourir à des textes internationaux pour compléter ledit ou lesdits texte(s) dès lors qu`ils sont tout à fait clairs et se suffisent à eux-mêmes, comme en l`espèce.
Il résulte de ce qui précède une difficulté quant à la détermination de nature de cette "décision". S`agit-il d`un avis ou de la publication des candidatures telle que prescrit par l`article 56 nouveau du code électoral ?
Apparemment non puisque la présente décision du Conseil constitutionnel fait injonction à tous les candidats de compléter leurs dossiers de candidature. Or, cette procédure n`apparaît nulle part à l`examen des textes relatifs aux attributions du Conseil Constitutionnel en matière d`élection à la Présidence de la République. Il convient de rappeler qu`aux termes des dispositions de l`article 94 de la constitution de la République de Côte d`Ivoire, "le Conseil constitutionnel contrôle la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats.
Le Conseil statue sur : L`éligibilité des candidats aux élections présidentielle et législative
Les contestations relatives à l`élection du Président de la République et des députés.
Le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs des élections présidentielles."
En ce qui concerne l`élection à la Présidence de la République, l`article 31 de la loi n°2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l`organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel dispose: "Les attributions du Conseil constitutionnel en matière d`élection à la Présidence de la République sont déterminées par la loi n°2000-514 du 1er août 2000 portant Code électoral et particulièrement en ses articles 46, 47, 52, 56, 59, 60, 61, 62, 63, 64 et les textes particuliers y afférents. " Que dit donc le Code électoral au sujet de la réception et de l`examen des dossiers des candidats à l`élection présidentielle par le Conseil constitutionnel?
La réponse à cette interrogation est fournie par les articles 56 nouveau et 57 du Code électoral.
Aux termes des dispositions de l`article 56 nouveau : "dès réception des candidatures, et après leur examen conformément à la loi, celles-ci sont publiées par le Conseil constitutionnel.
Les candidats, les Partis, formations ou groupements politiques les parrainant éventuellement, adressent au Conseil constitutionnel leurs réclamations ou observations dans les soixante douze heures suivant la publication des candidatures avec copie à la Commission Electorale Indépendante au Représentant Spécial du Facilitateur et au Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies. Après vérification de leur éligibilité, le Conseil constitutionnel arrête et publie la liste définitive des candidats vingt jours au moins avant la date du scrutin."
Quant à l`article 57, il dispose: "Est rejetée toute candidature dont la composition du dossier n`est pas conforme aux dispositions ci-dessus." II résulte de ce qui précède qu`à la réception des dossiers de candidature, le Conseil constitutionnel procède à un examen formel préalable suivi de leur publication laissant le soin aux candidats ou aux partis les parrainant éventuellement, à lui adresser leurs réclamations ou observations. C`est soixante douze heures après cette publication, qu`il peut se prononcer sur l`éligibilité des candidats, les observations et réclamations étant faites, pour établir la liste définitive. Si lors de cette vérification de l`éligibilité des candidatures, il apparaît qu`un candidat ne remplit pas les conditions prescrites par la loi, sa candidature est tout simplement rejetée.
La première vérification ne peut donc porter que sur la composition du dossier. C`est d`ailleurs pour cette raison qu`il est encore possible après la publication, de faire des observations et réclamations. En revanche, la seconde vérification porte sur le contenu des pièces du dossier. Contenu devant permettre au Conseil constitutionnel de statuer sur l`éligibilité ou non du candidat. En la matière, il n`y a plus ni observations, ni réclamations.
On note, ainsi, que nulle part, n`apparaît la moindre mention relative à une procédure d`examen préalable de tous les dossiers aboutissant, comme en l`espèce, à une décision générale invitant les candidats à compléter leurs dossiers.
Cette procédure que semble instituer le Conseil constitutionnel est tout à fait nouvelle et risque de créer un précédent fâcheux. En effet, elle peut laisser croire que, désormais, il est instauré une phase d`examen de tous les dossiers de candidature à l`élection présidentielle à l`issue de laquelle le Conseil constitutionnel, après délibérations, invite l`ensemble des candidats à compléter leur dossier.
Ce qui est contraire à la loi. Et l`argument tiré de l`esprit des différents Accords, visé par le Conseil constitutionnel, ne peut fonder une telle démarche car en décidant comme il le fait, le Conseil constitutionnel ne tranche pas un problème de droit qui lui est posé mais met en oeuvre une procédure non prévue par la loi.
Même à supposer que le Conseil constitutionnel, invoquant l`esprit des accords et dans un souci d`apaisement (ce qui n`est guère le cas en l`espèce) ait voulu éviter que des candidats ne soient écartés pour dossier incomplet, il aurait dû adresser sa décision à la Commission Electorale Indépendante, pour chaque candidat, à charge pour cette dernière d`inviter les candidats concernés à compléter leur dossier.
Il en va ainsi parce qu`aux termes des dispositions de l`article 52 nouveau du code électoral, "les candidatures à l`élection du Président de la République sont reçues par la Commission Electorale Indépendante qui les transmet dans les soixante douze (72) heures au Conseil constitutionnel.
La Commission Electorale Indépendante informe le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Côte d`Ivoire et au Représentant Spécial du Facilitateur à toutes fins utiles"
Le parallélisme des formes commandait donc cette procédure. Or, en l`état, la décision ne précise guère entre les mains de quel organe le dépôt des pièces exigées devra s`effectuer.
Est-il nécessaire de rappeler qu`aux termes des dispositions de l`article 2 nouveau de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement la Commission Electorale Indépendante, "la commission Electorale Indépendante est chargée de l`organisation, de la supervision et du contrôle du déroulement de toutes les opérations électorales et référendaires dans le respect des lois et règlements en vigueur..."
Quant au fond, la question qui se pose est la suivante : le Conseil constitutionnel peut-il prescrire/décider de nouvelles conditions d`éligibilité à la Présidence de la République, contrairement à ce que prévoit la loi ?
L`analyse montrera qu`il ne le peut.
Au fond: le Conseil constitutionnel ne peut décider de nouvelles conditions d`éligibilité à la Présidence de la République
En décidant comme il l`a fait, le Conseil constitutionnel outrepasse sa compétence et viole la loi
Le Conseil constitutionnel outrepasse sa compétence
Après avoir rappelé que l`article 1er de la décision n°2005-01/PR du 5 mai 2005 consacre deux catégories de candidat, la première étant déclarée éligible et la seconde devant satisfaire à des conditions qu`il énonce, le Conseil constitutionnel, sans avoir été saisi pour avis ou pour contestation, décide de les soumettre tous aux mêmes conditions en évoquant le respect du principe de l`égalité devant la loi prescrite par la constitution du 1er août 2000.
Il convient de rappeler qu`au titre de ses attributions, le Conseil constitutionnel peut être saisi pour avis, pour contrôle de conformité à la constitution des engagements internationaux, pour contrôle de la constitutionnalité d`une loi ou d`une ordonnance. Il est aussi juge de la régularité des opérations électorales.
Mais dans l`exercice de toutes ces attributions, le Conseil constitutionnel ne peut s`ériger en législateur, c`est-à-dire en créateur de la loi. Cela ne relève point de sa compétence.
En effet, aux termes des dispositions de l`article 5 du code civil, "il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises."
Cette règle signifie que le juge ne peut, en statuant, prendre ce qu`on appelle des arrêts de règlement c`est-à-dire des règles générales et impersonnelles comme le ferait le législateur. "On dit qu`il doit statuer "espèce par espèce".
En édictant une règle générale, s`apparentant à un arrêt de règlement, le Conseil constitutionnel s`érige en législateur violant ainsi l`article 5 du code civil susmentionné, de même que les règles fondamentales de compétence du Conseil constitutionnel tel que rappelé, depuis longtemps, par le Conseil constitutionnel français dont s`inspirent les Conseils constitutionnels des Etats africains dont le nôtre.
En effet, en ce qui concerne le Conseil constitutionnel dans sa spécificité, deux décisions très importantes du Conseil constitutionnel français, classées parmi les grandes décisions de cette Institution, sont venues rappeler cette règle :
Décision n°23 du 15 janvier 1975 au sujet de l`avortement : "considérant que l`article 61 (article 95 de la constitution ivoirienne) de la constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d`appréciation et de décision identique à celui du parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. "
Mais, plus spécifiquement, au sujet de l`élection présidentielle, il faut rappeler la décision n°17 du 17 mai 1969 (affaire DUCATEL/KRIVINE) relative aux conditions prescrites pour l`élection aux assemblées parlementaires et à l`élection présidentielle : "Considérant que si les dispositions de l`article 3 de l`ordonnance n°58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d`éligibilité et aux incompatibilités parlementaires subordonnent l`éligibilité aux assemblées parlementaires au fait d`avoir définitivement satisfait aux prescriptions légales concernant le service militaire actif, la différence de situation qui en résulte avec les dispositions précitées de l`article L.45 ne saurait, pour surprenante qu`elle soit, autoriser le Conseil constitutionnel à ajouter une condition d`éligibilité à celles exigées par les dispositions législatives sus-rappelées concernant l`élection du Président de la République."
Le Conseil constitutionnel est donc formel. Même si les conditions d`éligibilité sont discriminatoires, pour surprenantes que cela puisse paraître, il ne peut ajouter une condition d`éligibilité à celles prévues par la loi.
Cela ne relève pas de sa compétence. Car pendant que nous y sommes, s`il était permis d`édicter des conditions supplémentaires d`éligibilité en raison du caractère essentiel d`un devoir civique, pourquoi n`avoir pas exigé des candidats de sexe masculin, l`état de leur service militaire ? Ce devoir est pourtant aussi important que le devoir fiscal. Comme on peut s`en rendre compte, à vouloir agir à la place du législateur, on laisse la porte ouverte à tous les abus.
Mais en l`espèce, en violant les règles relatives à sa compétence, le Conseil constitutionnel viole la loi ivoirienne.
Le Conseil constitutionnel viole la loi
Aux termes des dispositions de l`article 1er de la décision n°2005-01/PR du 5 mai 2005 relative à la désignation à titre exceptionnel des candidats à l`élection présidentielle, "A tire exceptionnel, et uniquement pour l`élection présidentielle d`octobre 2005, les candidats présentés par les partis politiques signataires de l`Accord de Linas Marcoussis sont éligibles.
L`examen des candidatures à l`élection présidentielle d`octobre 2005 autres que celles présentées par les partis politiques signataires de l`Accord de Linas Marcoussis se fera conformément aux dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires en vigueur."
Les dispositions susvisées ont été reprises par l`ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au code électoral pour les élections de sortie de crise en son article 54 in fine ainsi qu`il suit: "pour la présente élection présidentielle conformément aux accords les candidats issus des partis politiques signataires de l`Accord de Linas Marcoussis sont dispensés de la production de quelque pièce que ce soit, à l`exception de la déclaration personnelle de candidature revêtue de la signature du candidat qui doit être accompagnée, le cas échéant, d`une lettre d`investiture du ou des partis ou groupements politiques qui les parrainent."
La lecture des dispositions susmentionnées, tout à fait claires, rend la décision du Conseil constitutionnel surprenante.
En effet, il est mentionné que c`est à titre exceptionnel que les candidats présentés par les partis politiques signataires de l`Accord de Linas Marcoussis sont éligibles.
En droit, convient-il de le rappeler, les exceptions sont d`application stricte. Cela veut dire qu`il n`y a pas lieu d`interpréter une exception pour la mettre en conformité avec quelque principe que ce soit dès lors que la loi, elle-même, par une disposition déroge aux règles de droit commun.
Par ailleurs, cette décision présidentielle prescrit que ces candidats sont éligibles c`est-à-dire que, d`ores et déjà, ils sont déclarés aptes à être élus.
Il n`y a donc pas lieu de les soumettre à des conditions qui ont pour objet de les déclarer éligibles. Ils le sont déjà.
C`est la raison pour laquelle l`ordonnance précitée, comme pour éviter toute interprétation, prend le soin, alors même que cela aurait pu paraître superflu, de rappeler que ces candidats "sont dispensés de la production de quelque pièce que ce soit à l`exception de la déclaration personnelle de candidature."
En faisant fi de ces textes, pour imposer la production de pièces à tous les candidats, même à ceux qui en sont dispensés parce que présentés par les partis politiques signataires de l`Accord de Linas Marcoussis, le Conseil constitutionnel se met au-dessus de la loi, en laissant croire que celle-ci ne s`impose à lui. Ce qui n`est pas exact.
Le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois, peut, certes, déclarer une loi non conforme à la constitution mais à la condition qu`il soit saisi pour avis ou saisi d`une contestation par voie d`action ou par voie d`exception.
En l`espèce, il n`en est rien. En conséquence, le Conseil constitutionnel ne peut, sans remettre en cause la validité des Accords politiques et des décisions prises par le Président en application de l`article 48 de la constitution, décider de ne pas leur donner plein et entier effet.
En décidant, d`elle-même, qu`une décision prise en application des dispositions de l`article 48 de la constitution ne peut s`appliquer parce que discriminatoire, il viole cette loi.
Les implications de la décision du Conseil constitutionnel
1- La première implication de cette décision est que le Conseil constitutionnel dessaisit, de fait, la CEI de ses attributions en ce qu`il tend à vouloir contrôler les opérations électorales à elle dévolues en ses lieu et place.
Or, il convient de rappeler qu`aux termes des dispositions de l`article 2 nouveau de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement la Commission Electorale Indépendante, "la Commission Electorale Indépendante est chargée de l`organisation, de la supervision et du contrôle du déroulement de toutes les opérations électorales et référendaires dans le respect des lois et règlements en vigueur..."
2- La deuxième implication est que cette décision crée un précédent fâcheux dans l`ordonnancement juridique ivoirien puisque cette haute Institution, gardienne des libertés fondamentales et surtout du respect des normes, les viole allègrement. Ce qui est de nature à saper la confiance dans nos Institutions.
3- La troisième implication est que cette décision sème les germes d`une nouvelle crise.
En effet. Le Conseil constitutionnel qui a rappelé plus d`une fois, dans sa décision, l`esprit des différents accords politiques qui est de sortir de la crise dans la paix, se contredit en édictant des conditions supplémentaires que ni les Accords, ni la loi ne prévoient.
En effet, si les candidats présentés par les partis politiques signataires de l`Accord de Linas Marcoussis décident de ne pas respecter cette décision qui est beaucoup plus politique que juridique, le Conseil constitutionnel va certainement les déclarer non éligibles pour rester dans la logique qui est le sien alors que la loi les a déjà déclarés éligibles.
Or la crise actuelle n`est-elle pas la conséquence directe de ce type d`exclusion ?

Le Comité Juridique National du Pdci

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