samedi 28 janvier 2012 par Le Patriote

Après 72 heures d'une visite officielle, Alassane Ouattara a quitté Paris pour Adidas-Abeba, la capitale éthiopienne pour le sommet de l'UA. Avant de quitter le sol français, il a accordé une interview à France 24 et à Rfi

Question : votre visite en France qui s'achève est impressionnante, particulièrement par le déploiement de mesures de protection par votre hôte Nicolas Sarkozy, qui a joué un rôle dans votre installation au pouvoir, cinq divisions de l'armée française mobilisées, des hélicoptères, la cavalerie républicaine j'ai envie de vous demander si vous avez-vous aussi le sentiment d'être à ce point encore protégé ?

Alassane Dramane Ouattara : Non point du tout. Moi je n'ai pas vu tout ce déploiement dont vous parlez. J'étais dans une voiture. Mais vous savez, une visite d'Etat est organisée d'une certaine manière. Je ne pense pas qu'il y ait des mesures particulières qui aient été prises pour nous. En tout cas, je remercie le gouvernement français, le président Sarkozy de la manière dont les choses se sont passées. Nous avons eu de très bons entretiens avec lui-même, avec les autorités françaises en général, la mairie de Paris.

Question : Vous n'avez pas l'impression vous-mêmes d'être dans une situation de fragilité qui pourrait occasionner cette grande prise d'attention ?
ADO : Non. C'est ma première visite d'Etat. Peut-être quand je reviendrai la prochaine fois, je pourrais faire la comparaison.

Q : Vous avez signé un accord de défense, 300 soldats français vont rester en Côte d'Ivoire. Pourquoi avez-vous souhaité qu'ils restent ? Est-ce parce que vous n'avez pas confiance en votre propre armée?

ADO : Je signale d'abord qu'il s'agit d'un traité de partenariat de défense. Ce n'est pas la même chose. Ceci veut dire que les documents que nous avons signés seront soumis au Parlement ivoirien et au Parlement français. Ce n'est pas une clause secrète. Le Parlement va en débattre. C'est à la suite de ces débats que ce traité deviendra définitif. C'est un traité qui concerne les questions de formation, les questions relatives à l'équipement, à l'information de l'armée ivoirienne. Il n'y a pas de question de protection d'un gouvernement ou d'une autorité quelconque. En Côte d'Ivoire, nous avons un pouvoir démocratique. Moi, j'ai été élu démocratiquement. Nous avons eu des élections législatives apaisées, démocratiques. Le pays est en paix. Le pays est au travail. Nous n'avons pas besoin de protection de qui que ce soit.

Q : Mais, la pression demeure toujours, surtout que vous avez été installé par l'armée française ?

ADO : Je voudrais apporter une précision. Le travail a été fait par les forces républicaines de Côte d'Ivoire. La France est intervenue sous mandat des Nations Unies avec les troupes de l'ONUCI. Laurent Gbagbo a refusé de partir. Nous l'avons fait partir. Maintenant, le pays est en paix. Le pays est en sécurité. Ce n'est pas une vue de l'esprit. Venez à Abidjan, vous verrez que les gens vaquent à leurs occupations, que le pays est en paix, que les restaurants sont pleins ainsi que les avions et les hôtels.

Q : Aucune trace de menace ?

ADO : Non, point du tout ! L'armée est organisée, la gendarmerie et la police sont déployées à plus de 99 %. La normalisation est faite.

Q : Tout de même, la question que tout le monde se pose est de savoir si la justice sera impartiale ? Est-ce qu'elle jugera les militaires FRCI qui ont commis des crimes ?

ADO : Vous savez, pour moi, il n'y a pas de distinction entre Ivoiriens. Ne commençons pas à dire les Ivoiriens de tel bord ou de tel bord. Ce qui a créé, précisément, les problèmes de la Côte d'Ivoire. La question de l'impunité. Il n'y aura pas d'impunité. Il y aura un traitement égal de tous les citoyens. Nous avons mis en place une commission nationale d'enquête qui finira son travail fin février-début mars. A l'issue de cela, le rapport sera transmis à qui de droit. Et les juges pourront appeler devant les tribunaux ceux qui ont commis les crimes. Ils seront jugés selon nos lois.

Q : Y compris éventuellement les Com'zones des Forces Nouvelles ?

ADO : Pourquoi voulez-vous qu'il y ait des exceptions ? Pourquoi vous voulez les indexer a priori ?

Q : Parce qu'il y a eu Duékoué ?

ADO : Oui, il y a eu Duékoué. Mais attention, Duékoué était un problème ethnique, un problème foncier. C'était pendant la guerre. Moi, je ne veux pas prendre partie. J'attends de voir le rapport.

Q : Il y a eu également Abobo ?

ADO : Effectivement, il y a eu Abobo, il y a eu Yopougon. Attendons de voir le rapport de la Commission nationale d'enquête. Au vu de cela, les juges se prononceront.

Q : Il arrive souvent que les médias font plus vite le travail que l'enquêteur. Nous avons montré sur France 24 les images de ces atrocités.

ADO : Il faudra donner ces documents à la Commission nationale d'enquête. Nous ne voulons pas avoir une protection de l'information. Moi, je souhaite que cette Commission entende tout le monde y compris les journalistes de France 24 qui ont des choses à dénoncer ou à nous donner. Il faut que la justice se fasse. Et que tous les citoyens soient traités de la même manière. Je ne veux pas d'exception. Je ne veux pas que la Côte d'Ivoire retombe dans l'impunité. Il n'y aura pas de protection de qui que se soit.

Q : Sans remettre en question ces déclarations, l'on se dit que vous avez une dette à payer aux FRCI qui ont contribué à vous installer au pouvoir. Est-ce que vous êtes libre vis-à-vis d'elles ?

ADO : Ecoutez, moi je considère que nous avons une armée réunifiée. Nous avons fait en sorte que les forces soient intégrées. Vous savez, les forces dont vous parlez, les commandants de zones ne sont qu'une vingtaine sur plus de 500 responsables de l'armée. Alors est-ce que cela peut créer une différence ? Moi je ne pense pas. Je pense que la page est tournée. Les militaires savent que l'Etat de droit est en place en Côte d'Ivoire et que nous voulons respecter les droits humains et qu'il n'y aura pas d'exception. Nous avons sanctionné de nombreuses personnes, de nombreux militaires. Nous avons fait en sorte que la loi soit appliquée à tous.

Q : Il y a deux mois, vous avez reçu Moreno Ocampo, Procureur de la Cour pénale internationale. Si demain, des leaders militaires sont inculpés, est-ce qu'ils seront jugés en Côte d'Ivoire ou à la Haye ?

ADO : C'est une question que nous continuons d'examiner. Alors entendons-nous bien. FRCI veut dire les ex-FDS et les ex-FAFN. Les deux travaillent ensemble. Les enquêtes concernent tout le monde. Aussi bien ces deux forces que d'autres personnes, même des civils.

Q : Est-ce que les gros poissons iront à la Haye et les petits sur place ?

ADO : Moi, je ne suis pas dans une situation où je veux anticiper sur ce qui va se passer. Une chose est certaine, nous allons examiner ces cas. Je préfère que la justice soit rendue en Côte d'Ivoire. Nous n'en avions pas les moyens. Et si dans quelques semaines, dans quelques mois, nous en avons les moyens, nous préférerons juger les uns et les autres en Côte d'Ivoire.

Q : Vous n'aviez pas les moyens de juger Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire ?

ADO : Non, Laurent Gbagbo, c'est autre chose. Quelle qu'aurait été notre décision, nous aurions été accusés de ne pas avoir une justice impartiale. La cour pénale internationale est une cour indépendante. C'est que la justice est totalement impartiale. J'ai préféré pour ma part remettre ce cas entre les mains de la Cour pénale internationale. Pour les autres, nous sommes en train d'examiner la question.

Q : Actuellement, il y a plus de 60 cadres militaires et civils de l'ancien régime qui sont en prison. On sait que c'est la justice qui peut décider oui ou non de leur remise en liberté. Mais politiquement, est-ce que la libération de certains d'entre eux ne pourrait pas donner un signal à la réconciliation ?

ADO : Ce sont les tribunaux qui doivent en juger. Ce que nous avons fait. Nous avons des faits précis sur un certain nombre de personnes. Il s'agit des crimes de sang et des crimes économiques. S'il n'y a pas ces deux catégories de crimes, il n'y a pas lieu pour ces personnes d'être en résidence surveillée ou en prison. La justice fait son travail. Il faut la laisser travailler.

Q : Dans ce que vous venez de dire, on peut retenir que les élections législatives n'ont pas été un succès. L'opposition n'y a pas participé, (ADO coupe le journaliste dans son élan)

ADO : Attention, car le vote n'est pas obligatoire. La participation également à une élection n'est pas obligatoire. Le fait qu'un parti politique n'ait pas participé à une élection ne la rend pas illégitime. Nous n'avions pas participé aux élections de 2000. Le Parlement a légiféré. Nous n'avons jamais remis en cause les décisions prises par ce Parlement. J'ajoute que le taux de participation de ces élections-ci était supérieur à celui de 2000.

Q : Aujourd'hui, avec l'hégémonie du RHDP à l'Assemblée nationale, comment allez-vous y prendre pour réconcilier les Ivoiriens ?

ADO : Je continue de leur tendre la main. Je considère que c'est important pour eux de rentrer dans ce processus. J'ai proposé au FPI de venir au gouvernement. Ils ont hésité ensuite, ils n'y sont pas venus. Je leur ai demandé de participer aux législatives, j'ai fait cas des erreurs commises par mon propre parti le RDR à son temps en ne participant pas aux élections législatives, rien n'y fit. Ils ont opté de ne pas participer.

Q : Est-ce à dire qu'ils n'ont pas tourné la page Gbagbo ?

ADO : Je n'aimerais pas compliquer les choses pour une éventuelle participation du FPI à la vie politique ivoirienne. Je suis le Président de tous les Ivoiriens. Je souhaite que le FPI participe aux prochaines élections, les élections locales que les élections municipales et les élections régionales. C'est important pour la démocratie en Côte d'Ivoire. Je suis déçu personnellement du fait qu'il n'ait pas participé aux élections législatives. Donnons du temps au temps.

Q : Bientôt, vous allez former un nouveau gouvernement. Est-ce que Guillaume Soro restera encore Premier ministre ?

ADO : Une chose est certaine, le Président du Parlement sera du RDR. Puisque le RDR a la majorité. Maintenant, en ce qui concerne Guillaume Soro, nous en parlerons avec le président Henri Konan Bédié. Nous prendrons la décision qui sera dans le meilleur intérêt de la Côte d'Ivoire.

Q : Il y a un an, avant le second tour, vous aviez promis ce poste au PDCI. Aujourd'hui dans le parti d'Henri Konan Bédié, on s'impatiente ?

ADO : Ecoutez, moi je discute avec le président Bédié. Je n'ai pas eu de signes d'impatience.

Q : Pour vous qui êtes mieux informé que nous, vous savez que la base du PDCI est impatiente ?

ADO : C'est avec le président Bédié que je devrais parler de cette question. Si le Président et moi, nous pensons que nous pouvons passer à une étape, nous pouvons le faire. Le RDR a la majorité au Parlement. Le président du Parlement sera du RDR.


Q : Autrement, est-ce que ce n'est pas plus facile de désarmer les ex come'zones tant que Guillaume Soro est Premier ministre ?

ADO : La sécurité est bonne en Côte d'Ivoire. Venez-nous voir, vous allez le constater. Moi j'étais Premier ministre, il y a 20 ans. Pour le moment, je suis Président de la République. J'ai tous les matins les informations concernant la sécurité dans la nuit, la veille. Je crois qu'à Abidjan, la sécurité est revenue. C'est le cas également à l'intérieur du pays. Par conséquent, nous allons passer à une autre étape qui est la réforme du secteur de sécurité pour mieux contrôler ces jeunes gens qui ont pris les armes, qui ont soutenu les FRCI à l'occasion du départ de Laurent Gbagbo.

Q : Vous avez eu un certain nombre d'entretiens économiques avec le MEDEF en particulier. Vous avez dit que les entreprises françaises n'étaient pas suffisamment présentes en Côte d'Ivoire. Ce n'est pas pourtant l'impression que nous avons. On y trouve de grands groupes, Total, Bolloré, Bouygues

ADO : Certaines sont présentes et n'ont pas bougé. Mais d'autres ne sont pas aussi présentes comme moi j'aurais souhaité. Total par exemple, n'avait pas été là pendant quelques temps. Je pense que c'était une décision liée à ce qui se passait en Côte d'Ivoire. Ceci étant, nous constatons qu'avec la sécurité, avec les réformes économiques et le rebond que la Côte d'Ivoire connaît, nous allons passer à un taux de croissance de la production nationale de 5 % l'année dernière à un taux de croissance de plus de 8 à 9 %. C'est un rebond considérable qui devrait motiver l'arrivée de beaucoup d'entreprises d'Asie, de l'Amérique Latine.

Q : Est-ce que la Côte d'Ivoire pourra ressentir la crise mondiale?

ADO : Moins qu'ailleurs. Parce que nous produisons du cacao, de l'hévéa, du pétrole, les produits de consommation qui vont dans les pays voisins. Globalement, la situation se passe de manière convenable. Vous savez que pour une bonne croissance, il faut des investissements. Cette année, nous allons augmenter le taux d'investissement de 50 %. Il y a donc des opportunités. J'ai rencontré le MEDEF, je leur ai dit qu'il était temps de venir rapidement en Côte d'Ivoire. Parce que nous serons ouverts. Nous sommes en situation de bonne gouvernance, en situation de compétition. Et les premiers seront les mieux servis.

Q : Dans trois mois, les Français vont voter. L'élection s'annonce très serrée. Pourquoi ne profitez de ces visites pour rencontrer par exemple François Hollande ou François Bayrou ?

ADO : Ce n'est pas à moi d'établir le calendrier de la visite. Je suis en visite d'Etat, je rencontre les personnalités qui me sont proposées. Dans le principe, dans une visite, on se soumet au calendrier des autorités qui vous invitent. Je n'ai rencontré aucun homme d'affaires de manière individuelle ou bilatérale et aucun homme politique de manière personnelle ou bilatérale.

Q : Les socialistes français ont longtemps soutenu votre adversaire Laurent Gbagbo. Avez-vous des rapports difficiles avec eux ?

ADO : Non, pas du tout ! Et je ne suis pas sûr que les socialistes aient longtemps soutenu Laurent Gbagbo. Ces dernières années, je me souviens des déclarations des uns et des autres indiquant que Laurent Gbagbo était infréquentable.

Q : Vous communiquez avec François Hollande quand même ?

ADO : Je préfère sortir de ce chapitre s'il vous plait. Je ne veux pas me mêler de la politique française.

Q : Est-ce que vos rapports avec Nicolas Sarkozy ne sont pas des rapports de la France-Afrique ?

ADO : Nicolas Sarkozy est bien mon ami. Nous sommes amis depuis plus de 20 ans, bien avant que je ne sois opposant ou président de la République. Ce sont des rapports d'amitié. Vous n'allez de tout de même pas m'interdire de continuer de fréquenter mes amis parce que je suis président de la République.

Q : Vous avez salué le courage de Nicolas Sarkozy l'année dernière. Est-ce que n'importe quel autre homme politique français aurait eu le même courage ?

ADO : Permettez-moi de ne pas me prononcer. Ce que je note. C'est que je connais bien Nicolas Sarkozy. C'est mon ami. Il a de fortes convictions, il est courageux. Il en a donné la preuve à l'occasion de la crise ivoirienne et à l'occasion de la crise libyenne aussi.

Retranscrit par Thiery Latt.

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