mardi 18 aout 2015 par La Synthèse

La réconciliation ivoirienne, bien qu'éprouvée par les divergences politiques, peut être revigorée en tenant compte d'une pratique séculaire et culturelle, vieille de plusieurs siècles, pouvant contribuer à son succès. Il s'agit des alliances interethniques.

Les alliances interethniques sont des pactes de non-agression signés entre les ancêtres de différents peuples de la Côte d'Ivoire. Elles mettent un accent particulier sur les plaisanteries et permettent de maintenir la paix et la cohésion sociale. En effet, ces alliances autorisent les peuples à plaisanter et même un groupe à injurier l'autre, sans risque de se voir agresser. Elles rétablissent la concorde des communautés. L'anecdote suivante, comme plusieurs autres, en est une illustration. Un vieil homme Yacouba avait rendu l'âme et conformément à l'alliance, c'étaient des Sénoufos qui avaient creusé sa tombe la veille, gratuitement. Le lendemain, au moment de l'inhumation, avant d'y faire descendre le cercueil, l'on constata qu'un crapaud était pris au piège dans la tombe. L'un des Sénoufo y descendit, pour l'en faire sortir. Il tint la pauvre bête par la patte et déclara avec mépris : Vous les Yacouba-là, vous aimez tellement manger les crapauds, qu'un vieux crapaud est venu se cacher dans votre tombe. Je vous le donne. Prenez-le pour faire votre cuisine de ce soir ! Sur ce, il lança le crapaud sur des membres de la famille éplorée, rassemblés pour l'inhumation. La famille laissa échapper des cris et un fou rire s'empara de la foule. Ce geste détendit quelque peu l'atmosphère trop triste qu'imposait la cérémonie. En réalité, les Yacoubas ne consomment pas le crapaud, mais bien la grenouille ! Les Sénoufos, pour plaisanter, affirment que c'est du pareil au même! Dans le temps passé, l'observation de ces valeurs culturelles a permis d'éviter de nombreux conflits fratricides et interethniques. Toute chose qui permettait de préconiser des règlements pacifiques à tous les différends en transformant les malentendus en historiettes. En Côte d'Ivoire bien d'autres alliances interethniques, chacune avec sa légende, existent entre plusieurs peuples. C'est le cas entre les Sénoufo, Yacouba, Koyaka, Lobi, Gouro, Mahouka, Koulango. Il y a celle des Attié avec les Dida, M'Batto, Kroumen et Bakwé . Les Baoulé avec les Ando et Agni, et les Gouro avec les Peulh, Yacouba, Sénoufo, Tagbana, Djamala, Djimini ; les Adjoukrou avec les Ahizi et les Alladian pour ne citer que ces exemples-là.
Cependant, ces valeurs culturelles tendent à disparaître. Des conflits intercommunautaires, survenus en septembre 2002 en Côte d'Ivoire, avant de s'intensifier avec la crise postélectorale de novembre 2010 à avril 2011, auraient pu être circonscrits en jouant le jeu des alliances interethniques. Si bien que les crises qu'a connues la Côte d'Ivoire peinent à trouver des solutions. En dépit des efforts fournis par la défunte Commission Dialogue-Vérité et Réconciliation(CDVR) depuis 2011, dans le but de réconcilier les Ivoiriens à travers les programmes de rencontres et d'écoutes, les peuples continuent de se regarder en chiens de faïence. Partout dans le pays, les conflits fonciers, les affrontements violents sont légion. Les politiques continuent d'activer la flamme de la haine avec des propos de division qu'ils véhiculent. L'ultime avantage des alliances interethniques est qu'elles représentent un facteur de paix entre les différentes ethnies à cause du pacte de non-agression et d'assistance mutuelle qui les lient. C'est donc à juste titre que feu Boniface Batiana, président de l'Association pour la Promotion de la Parenté à Plaisanterie(AB3P), a déclaré : Si la parenté à plaisanterie existait entre Tutsis et Hutus, il n'y aurait sûrement pas eu de génocide. Comme pour dire que si les politiques s'inspirent de cela, la réconciliation serait un acquis en Côte d'Ivoire. Les Autorités ivoiriennes devraient mettre en place une politique de vulgarisation de ces alliances interethniques à travers les structures notamment la nouvelle Commission Nationale pour la Réconciliation et l'Indemnisation des Victimes (CONARIV) et le Programme National de Cohésion Sociale (PNCS). Il pourrait également songer à instaurer des Alliances interethniques dans le programme scolaire. L'idéal serait donc que le peuple ivoirien revienne sur la tradition afin de consolider l'amour et la tolérance en cette période sensible que traverse le pays avec les différentes élections à venir

Par Adéline DOUDOU

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