par Nord-Sud
Le professeur Alphonse Djédjé Mady apporte ici la réplique à Laurent Gbagbo qui a affirmé sur France 24 qu'il avait gagné l'élection présidentielle de 1990. Il ne manque pas de répondre aux questions d'actualité.
?Laurent Gbagbo affirme avoir remporté l'élection présidentielle de 1990. Houphouët Boigny et le PDCI lui ont-ils volé sa victoire?
Je pense qu'il ne faut pas travestir l'histoire. C'est encore plus dramatique lorsque c'est un historien qui la travestit. Les acteurs de ces 20 dernières années sont majoritairement vivants. Ils sont à même d'apprécier le contexte dans lequel les élections de 1990 se sont déroulées. Il faut qu'on décode la teneur réelle des propos de Gbagbo. Quand il dit que c'est lui qui a gagné les élections de 1990 face à Houphouët Boigny, posons-lui la question de savoir ce qu'il veut dire. S'il considère que c'est une victoire le fait qu'il ait osé se présenter contre Houphouët en 1990, alors il peut considérer cela comme une victoire. Avoir eu le courage d'aller devant l'échec, avoir eu le courage de prendre date avec l'histoire, avoir eu le courage d'oser affronter Houphouët. S'il appelle cela une victoire, oui nous pouvons le lui concéder. La victoire de la témérité, la victoire d'essayer Pour être honnête, c'est au mois d'avril 1990, après les mouvements sociaux réclamant le retour au multipartisme qu'au 30 mai après un bureau politique, le Pdci a autorisé le retour au multipartisme. Quand quelque quatre mois après, on sort de la clandestinité et qu'on va aux élections, quand on est habité par le bon sens, on ne va pas à ces élections pour les gagner. On va à ces élections pour prendre date. Oser dire pour la postérité pour les jeunes de ce temps, qui n'ont pas assisté à ce qui s'est passé, que lui Gbagbo aurait battu Houphouët en 1990 est un blasphème. Il faut, devant l'histoire, reconnaitre les actes qu'on a posés, leur portée sociologique, psychologique, les messages qu'ils véhiculentc'est un mensonge. Je dirai que c'est une contrevérité de dire au sens démocratique que M. Gbagbo, candidat du Fpi, sorti de la clandestinité 5 mois plus tôt, serait arrivé à battre dans les urnes Félix Houphouët Boigny qui occupe le terrain ivoirien depuis plus de 50 ans, en comptant le temps colonial. Il y a des choses qu'on ne dit pas pour rester crédible. La victoire de Gbagbo, c'est d'avoir eu la témérité de vouloir se présenter. Oui avec ses 18% des voix, c'est une victoire pour lui. Mais ce ne sont pas les élections qu'il a gagnées.
?Quel était à cette époque le rapport des forces ?
Il n'y a pas de rapport de forces. Si vous voulez, les 18% c'était le poids de Gbagbo. Je pense que le peuple de Côte d'Ivoire n'est pas tombé sur la tête pour que majoritairement il vote pour Gbagbo, en ce temps-là. Ce n'est pas la vérité. Le rapport des forces était disproportionné. Pour les croyants, on pourrait dire que Goliath a été battu par David mais ce n'est pas dans ces conditions là puisque ce n'est pas David qui combattait Goliath. C'est Dieu d'Israël qui combattait Goliath. Je ne crois pas qu'en 1990, ce Dieu d'Israël était avec Gbagbo contre Houphouët- Boigny.
?Dans certaines analyses qui ont été faites, ce discours est un message pour les élections à venir. Si Gbagbo a battu Houphouët, c'est qu'il écraserait Bédié et Ouattara mis ensemble.
C'est pour cela que je dis qu'il faut savoir décoder le message de Gbagbo. Le bon décodage n'est pas de parler d'une victoire démocratique sur Houphouët. Est-ce que ça veut dire que si j'ai osé me présenter devant Houphouët et que j'ai pu déclarer que je l'ai battu, alors que je n'étais pas au pouvoir, maintenant que j'y suis, ce n'est pas vous que je ne vais pas battre. Quand on se proclame acteur du retour au multipartisme, Gbagbo ne peut pas affirmer sans sourciller qu'il pourra battre facilement Bédié, Alassane et les autres candidats. Je crois que quand on lit l'interview, on note quelque part qu'il envisage la possibilité d'échouer, d'être battu car il dit que quand on va à des élections on peut gagner ou perdre. Et il va perdre, c'est ce qui est la vérité ! Démocratiquement il sera vaincu, non par rapport aux discours de dernière minute qu'il tient mais par rapport à son bilan. Le peuple tiendra compte de son bilan de la gestion de la crise.
?Au cours de cette interview, il a envisagé la possibilité de prendre un décret pour proposer une nouvelle date pour les élections. Y souscrivez-vous ?
Il ne décide pas en dictateur selon ses humeurs. Il y a une procédure pour arrêter la date des élections. C'est la Commission électorale indépendante (Cei) qui propose des dates au gouvernement sur lesquelles celui-ci se prononce. S'il y a des éléments nouveaux qui poussent la commission à faire de nouvelles propositions de date, cela peut donner l'opportunité au président de la République de prendre des décrets en Conseil des ministres. Il ne proposera pas seul des dates. Si la procédure est légalement suivie, il n'y a pas de problème puisque nous allons tous aux élections dans les mêmes conditions. A chacun de se préparer. On sait qu'il est candidat même s'il ne veut pas le dire. Si la Cei fait de nouvelles propositions, nous aviserons.
?Est-ce que le bloc que vous dirigez est prêt pour un autre report de la présidentielle ?
Ce n'est pas au bloc que je dirige d'accepter ou non un report. La question est de savoir si toute la Côte d'Ivoire est prête à accepter un autre report. Nous qui vivons la crise, c'est de nous tous qu'il s'agit. Il ne s'agit pas seulement d'un bloc, d'ambitions d'un quelconque candidat ou d'une formation politique qui veut le pouvoir mais il s'agit de la sous-région et de la communauté internationale qui s'implique dans cette crise. Les élections de qualité sont devenues une nécessité pour la paix dans ce pays, pour le bonheur et la sécurité des Ivoiriens. Alors je vous pose la question en inversant les rôles. Est-ce que le pays est prêt à accepter les reports à répétition? C'est la Côte d'Ivoire qui décide. Mais pour ne pas fuir votre question, nous disons que si nous sommes des citoyens qui pensons à notre pays, faisons le maximum pour que la date du 30 novembre soit respectée. Qu'on aille à des élections qui soient génératrices de paix dans l'intérêt supérieur de la nation, notre bien commun.
?Avec la longue expérience du Pdci, pensez-vous qu'au stade actuel du processus de sortie de crise, il soit techniquement possible d'avoir ces élections le 30 novembre ?
Je ne ferai pas l'insulte à la Commission électorale indépendante et au gouvernement qui ont fixé cette date. Ils savent mieux que moi les conditions de gestion de la crise. Eux, ils sont les acteurs du quotidien. En fixant cette date, ils ont dû prendre toutes les précautions. Je leur fait confiance. Si nous voulons, nous le pouvons. Si nous ne voulons pas, même dix ans ne suffiraient pas pour organiser les élections. C'est la volonté politique traduite en action qui permettra d'avoir des élections. C'est en toute responsabilité que le gouvernement et la commission électorale ont fixé les dates. Cela signifie pour moi que des éléments existent pour que nous ayons ces élections crédibles le 30 novembre. Nous y croyons.
?Dans une interview Anaky Kobena a clairement demandé qu'il y ait une redistribution de cartes après le 30 novembre et qu'il n'y ait pas de report automatique des élections.
Venant d'un leader du Rhdp, je le soutiens. Il lance un appel aux Ivoiriens pour que la Côte d'Ivoire prenne son destin en main. Que la situation de ni paix ni guerre, la valse que nous dansons, puisse s'arrêter. C'est un appel à la responsabilité qu'il lance aux Ivoiriens. Prenons ensemble nos responsabilités si nous pensons que la comédie a assez duré. Faisons en sorte qu'elle arrête et que nous allions aux élections.
?Dans les hypothèses du Rhdp, on entend tout, sauf l'éventualité de deux candidats Rhdp au second tour. Est-ce que vous y pensez ?
Nous y pensons, c'est vous qui dites qu'on n'y pense pas. Avec deux candidats Rhdp au second tour, nous aurions déjà gagné les élections quel que soit le cas de figure.
?Comment ferez-vous la campagne ? Les candidats ne se tourneront-ils pas vers Gbagbo avec des risques de déchirure de votre bloc ?
Nous sommes assez matures pour ne pas nous déchirer. Nous comptons sur la sagesse des uns et des autres pour ne pas qu'on se déchire. Nous pensons que la présence de deux candidats Rhdp au second tour nous faciliterait la tâche.
?Que reste-t-il aujourd'hui du Rhdp, on n'entend plus parler de vos rencontres ?
Ce qui reste, c'est ce qui était.
?L'élection des différents responsables locaux de la Cei a laissé apparaître des dissensions profondes, notamment à l'Ouest.
Est-ce qu'il y a une famille sans faille ? Montrez-moi une seule famille au monde où il n'y a pas des incompréhensions et des zones d'ombre. Le Rhdp est une structure qui a été bâtie par le sommet. Il faut prendre le temps de l'enseigner à la base. Si dans certaines bases, nos représentants locaux n'arrivent pas à s'entendre, c'est normal. Nous nous y attendons. De la fleur au fruit, il faut du temps. Il faut du travail pour instruire la base sur les décisions du sommet. Nous nous y attelons.
?D'aucuns pensent qu'avec le problème des milices, il faut l'équilibre de la terreur pour avoir de bonnes élections. Qu'en pensez-vous ?
C'est une espèce de précepte qui dit qu'il faux montrer la force pour ne pas avoir à l'utiliser. On n'éteint pas le feu avec le feu. On n'arrête pas la violence par la violence. Quand deux violents se rencontrent, ça ne donne pas la paix, cela produit une flambée de la violence. Nous pensons bien sûr que chacun doit être prêt à défendre ses droits. Chacun doit être prêt à dire non à la violence. Et s'il faut éventuellement utiliser la violence pour dire non à la violence, on doit être prêt à le faire. Mais ce n'est pas le schéma à conseiller dans un pays où on recherche la paix. Violence plus violence, ça ne donne pas la paix. La Côte d'Ivoire a assez souffert, si on peut en faire l'économie, explorons cette voie.
?Avez-vous un plan pour qu'on n'empêche pas vos militants d'aller voter ?
Heureusement que nous avons un plan. Mais ce n'est pas dans les colonnes d'un journal que je le dirai. Nous devons faire en sorte que la sécurité des élections soit assurée. Même ce plan, il est presque public. Ce que nous ferons en interne est presque public. La communauté internationale est là pour assurer la sécurité des élections. Avec le passage des envoyés du Conseil de sécurité, ils ont eu à rencontrer le général Mangou et le général Bakayoko, les deux autres généraux des forces impartiales, tous ont dit qu'ils sont prêts à sécuriser les élections. Au plan républicain, si je peux m'exprimer ainsi, les forces régulièrement constituées sont mobilisées pour la sécurité. Bien sûr, à notre niveau, nous prendrons des disposions puisqu'il n'y aura pas un gendarme, un policier ou un militaire derrière chaque Ivoirien. Nous prendrons un minimum de dispositions pour permettre à nos électeurs d'aller aux urnes et d'exprimer librement leur choix.
?Que répondez-vous à ceux qui pensent que l'opposition compte trop sur la communauté internationale ?
Je ne sais pas si on compte trop sur elle. C'est elle qui s'est engagée à sécuriser les élections. Ce n'est pas moi qui le dis. J'ai lu ce que vous avez rapporté dans les journaux du jour, je n'y étais pas. Je suppose que la presse n'a pas menti. L'Onu s'est engagée à sécuriser les élections. Nous en prenons acte. Cela ne signifie pas que nous pensons qu'ils feront tout à 100 % pour nous. C'est pourquoi, j'ai indiqué que nous prendrons des dispositions pour que nos militants assurent leur propre sécurité.
?Parlons de votre parti. Comment avez-vous vécu la récente affaire Djaha Jean ?
Je l'ai vécue comme une injustice, comme un procès politique. Dieu merci, la justice a commencé à dire le droit. Nous souhaitons que la justice continue de dire le droit de cette façon et non à se mettre au service d'une certaine politique de quelque nature que ce soit. Nous pensons que la justice doit rester au-dessus des débats politiques. Le chef d'accusation était destruction de biens publics. Qui a vu Djaha Jean qu'on a arrêté en train de détruire des biens publics ? Vous avez dit destruction de biens publics dans cette période que nous vivons ? On a arrêté combien de personnes pour cela ici ? Il faut que notre justice soit indépendante. C'est indispensable pour la paix sociale qui est un élément essentiel pour l'économie et le développement du pays. Les juges doivent en avoir conscience.
?Vos adversaires rétorquent qu'il ne s'agit pas de procès politique puisque certains éléments ont été pris la main dans le sac.
Qui a été pris la main dans le sac ? Prendre quelqu'un la main dans le sac signifie qu'il a été appréhendé sur le terrain en train de casser. Nul n'a été pris la main dans le sac. Ce sont des gens qui ont été convoqués après les événements d'un mouvement d'insurrection où une foule a manifesté. Ils vont dire que ce sont ces 7 personnes qui ont cassé tout ce qui a été endommagé ?
?Ils auraient été identifiés comme ceux qui dirigeaient les opérations sur le terrain.
De quelle identification s'agit-il ? Ont-ils des photos ? C'est une foule qui a manifesté. Soyons sérieux ! Pour mentir, il faut être intelligent. Il faut présenter l'aspect vraisemblable des faits. Quand on n'est pas intelligent, on ment de façon grossière. Et là, on tombe dans le ridicule.
?Avez-vous le sentiment qu'il y a un acharnement contre le Pdci avec toutes les récentes affaires au tribunal ?
Quand vous faites peur, on s'acharne contre vous avec tous les moyens dont on dispose. C'est de bonne guerre. Quand on croit qu'on peut instrumentaliser la justice et l'administration, c'est de la faiblesse. C'est le signe du manque sérénité et de la défaite qui s'annonce. Cette défaite sera retentissante.
?Les autorités viennent de lancer la guerre contre le racket. Quel commentaire vous inspire cette bataille ?
Il fallait la mener beaucoup plus tôt. Mieux vaut tard que jamais, souhaitons que l'opération soit sincère et aboutisse à un succès.
?Apparemment, vous ne croyez pas au succès de l'opération.
Je souhaite qu'elle réussisse. La sensibilité est un fait assez subjectif. C'est vous qui ne sentez pas. Moi je suis sincère.
?On sent plutôt dans l'expression de votre visage de la moquerie.
Le problème du racket comme l'a indiqué Gbagbo face à des femmes à l'hôtel Ivoire est plus large. Il a parlé de la corruption dont le racket n'est qu'un aspect. Qu'on se réveille aujourd'hui et qu'on constate que c'est un fléau, c'est déjà bien de décider qu'on va lutter contre. C'est déjà bien de commencer la lutte. Il faut de la persévérance pour la gagner. Je suis pour que ça porte ses fruits mais, je ne peux pas vous garantir aujourd'hui que ça aboutira.
?D'aucuns pensent que cette lutte subite contre le racket et la corruption vise en réalité l'opposition. Qu'en pensez-vous ?
L'opposition n'est pas aujourd'hui responsable de la gestion. Quelle opération mains propres pourrait la déranger?
?Mais vous avez des ministres et des cadres à la tête de plusieurs structures?
On verra ! Nous sommes sereins parce que nous avons confiance en nos représentants dans ces structures.
?L'Onu vient de demander la révision de la loi d'amnistie. En êtes-vous favorable ?
Ils ont eu à dire ce qui n'était pas tout à fait prévisible. En écoutant cette rencontre où Gbagbo était face aux femmes, il a dit que les gens n'ont pas bien lu la loi puisqu'elle n'a pas amnistié les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Tous, nous parlons donc le même langage. C'est une bonne chose que la communauté internationale rappelle aux Ivoiriens qu'il y a des crimes qui sont imprescriptibles. C'est un rappel.
?Bédié va bientôt à Bouaké. Comment préparez-vous ce voyage ?
Nous le préparons activement. Nous avons rencontré tous